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M«' Pierre BATI FFOL
CATHOLICISME
PAPAUTÉ
Les difficultés anglicanes et russes
DEUXIÈME ÉDITION
Librairie Lecoffre
J. Gabalda, Éditeur
CATHOLICISME ET PAPAUT%
TTPOGffiAPHIB FIRMIN-DIDOT ET C'". — PARIS.
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CAtitiÔLiCISME
ET
PAPAUTÉ
Les difficultés anglicanes et russes
DEUXIEME EDITION
PAEIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA, Éditeur
RTTB BONAPARTE, 90
1925
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NIHIL OBSTAT V^
Paris. 21 febvr. 1925
Albertus Delaage.
vie. gen.
IMPRIMATUR
* • Paris. 25 febr. 1925.
•\ Benjamin Octavius.
Ep. Mosynopolitan.
-"rï^vv?
•fafoffit
AVANT-PROPOS
Dans le présent petit livre sont réunis quelques
essais publiés, avant ou après les « conver-
sations de Malines » de 1923, et qui ont pour
point de départ l'examen d'un discours sur le ca-
tholicisme romain prononcé à Londres en 1922
par Bishop Gore.
L'éminent évéque anglican est représentatif
de ce catholicisme issu du mouvement d'Ox-
ford en réaction du protestantisme jadis offi-
ciel dans l'Église d'Angleterre, catholicisme
qui n'est pas loin de croire presque tout ce
que nous croyons, mais qui entend être réso-
lument non romain. Sur cette exclusive, Bishop
Gore n'a jamais varié, et on le devine aussi
réfractaire que Pusey. On verra ses arguments,
qui ne diffèrent guère de ceux des Vieux-Catho-
liques, de Dollinger, par exemple.
Mais depuis Dollinger il s'est produit des
déplacements dans les positions de la science
6 AVANT-PROPOS.
historique. Quand on lit le chapitre premier de
La Papauté de DôUinger, qui date de 1869, on
voit vite que cette construction, jadis d'appa-
rence puissante, est maintenant disloquée. Les
origines chrétiennes, pour qui les étudie objecti-
vement, s'ordonnent dans le sens du catholi-
cisme qui est leur conclusion, et il n'y a pas
de catholicisme sans papauté. Et parce que c'est
la loi des origines, un catholicisna^. qui veut
aujourd'hui s'organiser sans papauté est un
catholicisme incertain, sans tradition et sans
défense. Mon dessein n'est pas d'appuyer sur
cette considération polémique. Je me suis appli-
qué de préférence à montrer que la papauté, la
papauté antique, a sa place dans ce que Dôl-
linger appelle l'ancienne constitution de l'Église.
Par là mon essai Bishop Gore et nous rejoint
en les prolongeant les thèmes que M^ Duchesne
a développés dans ses Églises sépai^ées, 1896.
Mon essai m'a valu une réplique de l'his-
torien ecclésiastique russe qu'est M. Glubo-
kovsky, dans le Christian East (nov. 1923) de
Londres, qui sert de liaison entre l'anglicanisme
et l'Orient orthodoxe. On trouvera pliis loin la
réponse que j'ai faite à M. Glubokovsky dans ce
même Christian East (fév. 1924). Plus récem-
ment, M. Glubokovsky a fait suivre ma réponse
d'un très long travail (Christian East, sept, et
AVâNT«PROPOS. 7
déc» 1924), quej'ailuâvecattention> et sur le£[iiêl
je ne vois pas l'utilité de m' appesantir. Dans
les Églises séparées de M^ Dùchêsne le cha-
pitre sur l'encyclique du patriarche Ahthime,
et tout particulièrement les pages sur là pré-
tention de l'Orthodoxie à être, à l'exclusion de
toute autre, l'Eglise des sept conciles oecumé-
niques ^ gardent toute leur force et toute leur
actualité contre les conclusions de jM. Glubo-
koYSky. Mais je veux, parmi ces conclusions,
retenir celle-ci : « Je n'aimerais pas, écrit
M. Glubokovsky, laisser l'impression que je suis
l'ennemi, en principe, de toute espèce de
papauté ou dé la papauté telle qu'elle a existé
au cours de l'histoire chrétienne. Gela ne
répondrait ni à mes convictions orthodoxes, ni
à mes connaissances historiques. Je distingue
la papauté historique de la papauté dogmatisé©.
Celle-ci n'a pas paru ex abrupto, elle se rattache
à celle-là par quelque getietic succession, mais,
pour un esprit orthodoxe, elle constitué une
déviation hyperbolique. Avec cette papauté, je
le dis non sans le plus grand regret, je ne
prévois aucune paix, et je traduis là disposition
d'âme orthodoxe à son égard par la célèbre
formule : Sint Ut sunté Mais j'accepte la
papauté historique s nous orthodoxes sommes
prêts à revenir à elle. Je crois fermement quê,
8 AVANT-PROPOS.
si la papauté veut renoneer à ses revendica-
tions, tout malentendu disparaîtra, même les
soi-disant différences dogmatiques seront apla-
nies, et une pacifique cohabitation possible.
Ainsi, le dernier mot appartient à la papauté
et à elle j'adresse le cordial appel : Fiat ex
Occidente pax ! »
Nous ne voulons rien relever dans cette dé-
claration de ce qu'elle retient des partis pris
byzantins de l'Orthodoxie. Pas davantage cet
appel à une paix qu'on affecte d'attendre de la
papauté, comme si c'était la papauté qui s'était
dérobée au concile de Florence. Nous voulons
retenir seulement cette reconnaissance de la
papauté historique, à laquelle l'Orthodoxie se
déclare prête.
On aimera sans doute à rapprocher cette
attitude, nouvelle dans l'Orthodoxie, de celle
que représente, dans la revue Theology de
novembre dernier, l'article consacré à mon livre
Le Siège apostolique par M. Kidd, warden de
Keble Collège, à Oxford. L'auteur de cet article,
qui est un savant historien des cinq premiers
siècles de l'Église, 3ait avec quel scrupule il
convient de se défendre contre la tentation de
mettre dans le passé une rigueur qui n'y est
pas : il me sait gré d'avoir «tudié l'institution
du principatus romain en tenant compte de
toutes les différences, qui s'y manifestent d'épo-
que à époque, de pays à pays. « Tout cela,
dit-il, est franc et promet : ce serait une bonne
chose si tous les anglicans, en quête . de se
réunir au Siège romain comme avec les autres
portions de la chrétienté, lisaient la présen-
tation que fait du cas M^ B. et reconnaissaient
combien la preuve qu'il peut en produire est
plus forte que nous ne le supposons commu-
nément ».
M. Kidd se défend de tout accorder, il exprime
des réserves, il formule des critiques, il déclare
que si ma thèse a bien des faits en sa faveur,
il en est d'autres qui ne s'adaptent pas à son
framework. Je ne crois pas les avoir dissi-
mulés. Mais voici la conclusion intéressante de
M. Kidd : « Nous devons beaucoup, écrit-il, à
saint Léon et à son zèle à garder l'unité, et je
crois que, si un poids égal pouvait être donné
aux deux plateaux de la théorie de Léon, une
voie de réconciliation pourrait encore être trouvée
dans les termes (de cette théorie). L'épiscopat
est un collège et tout collège a son président,
lequel ne peut agir sans ses collègues, car ils
ont des droits égaux aux siens, mais ceux-ci ne
peuvent agir sans lui, car il est leur tête. Saint
Gyprien lui-même demande au pape Etienne de
prendre la conduite {the lead) en traitant avec
10 AVÂNT-PRdPOS,
l'évèque novatien d'Arles, Marcianus, et il
reconnaît expressément le pape comme con-
ducteur {leader) du collège deâ évêqaes et comme
agissant naturellement en leur nom. Cette con-
duite {leadership) ou primauté, l'Église d'Angle-
terre ne l'a jamais déniée à la papauté, quoique
peut-être nous ayons quelquefois traité avec
elle aussi rudement que les Africains en leur
temps, Anglais et Africains ensemble à la
suite de sévères provocations. Cependant les
pouvoirs de la papauté ont été à maintes
reprises affirmés compatibles avec les droits de
l'épiscopat. Ils sont limités par saint Léon qui
décrit les évêques comme consortes honoris
sui^ à savoir Pétri ».
A vrai dire, observerai-je, on pourrait citer
nombre d'autres textes de saint Léon en confir-
mation de la même doctrine, celui-ci par exemple
d'une lettre adressée à des évêques gallo-
romains : « {Sollicitudo nostra) dignitatem
divinitus datam nec Ecclesiis nec Ecclesiarum
sacerdotibus abrogabat ». Ne pas oublier que
saint Léon entend tenir les « Ecclesiae gubêr-
iiacula » et être la tête de l'épiscopat, la
tête à laquelle les membres doivent s'accorder,
« capiti membra concordent », comparaison
acceptée et consacrée par le concile de Ghal-
cédoine. Sur les droits des évêques, M. Kidd
AVANT-PnOPOS. 11
cite les textes du concile du Vatican et de
Léon XIII que nous citons nous-mêmes plus
loin (p. 25-26), et il poursuit : « Dans ces
limites, donc, on peut trouver place pour une
suprême réconciliation. Présentement, nous avons
tendance les uns et les autres à ne considérer
exclusivement qu'un côté du bouclier, soit le côté
papauté, soit le côté épiscopat. Est-ce trop
espérer, que... nous pouvons, en étanjfc de part
et d'autre loyaux avec tous les faits, réaliser de
nouveaux progrès dans le sens d'une conception
de la constitution de l'Eglise telle qu'il y aurait
place pour nous tous dans son common home ? »
Ces déclarations de M. Kidd font penser à nos
gallicans du xvii* siècle, et je sais tous les scru-
pules qu'elles peuvent inspirer. Mais combien
elles dépassent les lignes où s'attarde l'ecclésiolo-
gie de Bishop Gore, fidèle à croire que le concile
irrité de Garthage de 256 réalise toute la cons-
titution du catholicisme antique! M. Kidd la
voit plus justement dans la démarche confiante
de saint Gyprien auprès du pape Etienne à
l'occasion de l'affaire de Marcianus d'Arles,
et aussi bien dans l'entente de saint Léon et
du concile de Ghalcédoine. Dans cette conti-
nuité se reconnaît la constitution du catholi-
cisme, plutôt que dans les crises qui, au cours
des âges anciens, en ont troublé l'équilibre. Que
12 ' AVANT-PROPOS.
d'ailleurs on puisse nous reprocher d'insister
sur le rôle de la papauté, et, sans préméditation y
de laisser dans l'ombre l'épiscopat, c'est un tort
que nous sommes disposés à reconnaître : l'épis-
copat appartient à la constitution divine de
l'Eglise et il y garde son rôle coordonné à
celui de la papauté. L'important est que M. Kidd
ne tienne pas le leadership de la papauté pour
une usurpation et qu'il lui fasse une place dans
l'Église.
Ainsi les controverses ne sont pas toujours
vaines. Il arrive que les controversistes les
plus en vue s'immobilisent dans leur thèse, et
que d'autres, plus jeunes, plus libres, réali-
sent les clairvoyances qui s'imposent. Si les
discussions, dont on trouvera quelques aspects
dans le présent petit livre, avaient aidé à un
progrès de cet ordre, il faudrait en bénir Dieu,
et en reporter le mérite à la méthode que les
uns et les autres nous essayons d'appliquer.
P. B.
Paris, 1<»- mars 1925.
BISHOP GORE ET NOUS
A l'occasion d'une rencontre récente où
quelques anglicans ont accepté de s'entretenir
avec des catholiques de possibilités de rappro-
chement entre l'Eglise d'Angleterre et l'Eglise
romaine, on m'a fait le grand honneur de me
detaander d'examiner la brochure du savant
évêque anglican, le D"" Charles Gore, intitulée
CathoUcism and Roman Catholicism , three
addresses delivered in Grosvenor Chapel in
Advent 1922 (London, Mowbray, 1923).
Cette brochure, en effet, offrait une base de
discussion, en déterminant avec netteté la posi-
tion de l'anglicanisme vis-à-vis de l'Église
romaine en même temps que du protestantisme
(continental), et présentait avec clarté et modé-
ration les griefs que l'on nous oppose.
Bishop Gore, naguère encore évêque d'Oxford
i. Reme des jeunes, 10 avril 1923.
14 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
et aujourd'hui retiré à Londres pour ne plus
s'occuper que de doctrine, est un Oxfordman
dont la personnalité attire à elle en Angleterre
une vive sympathie. L'anglicanisme a une
droite, une gauche, un tiers parti : Bishop Gore
appartient à la droite, par l'intégrité relative de
sa dogmatique, par son « catholicisme », au sens
où ce terme est revenu en honneur dans l'Église
d'Angleterre depuis le « mouvement d'Oxford »,
mais il n'appartient pas à l'extrême droite, dont
on connaît l'attrait qu'elle a pour les pratiques
romaines, et il a eu à maintes reprises l'occasion
de dire avec une parfaite netteté que le chemin
qu'il suit ne mène pas à Rome^. Il le redit
dans la présente brochure, dont la première
ligne est consacrée à excuser l'auteur de ne traiter
que de l'impossibilité de reconnaître dans l'Église
romaine toute l'Église. Et cela, ajoute-t-il aus-
sitôt, ne représente pas on the whole le sentiment
que j'éprouve pour l'Église romaine ou que je
désirerais que les autres éprouvent. Le sujet
traité ne fournit pas, en effet, l'opportunité de
parler « de ses grandeurs, de ses beautés, de ses
gloires, et j'espère que mes amis catholiques
romains s'en souviendront et me pardonneront ».
Bishop Gore peut compter que ses amis catho-
liques romains lui rendront justice, et que la res-
pectueuse sympathie qu'ils professent pour sa
1. Je pense à ses Roman catholîc claiiiis, U» édit. 1920*
CATHOLICISME BT PAPAUTÉ. 15
personne ne demande qu'à lui rester fidèle, même
en discutant sa pensée, que l'on sait si élevée et
si loyale.
I
Le mot catholicisme désigne la conception
selou laquelle le christianisme n'est pas regardé
simplement comme une doctrine de salut indi-
viduel, et assuré par l'œuvre intérieure de l'Esprit,
mais comme une société visible et organisée.
Pour Bishop Gore, le peuple de Dieu est
l'antécédent de l'Église : cette perspective est
celle de la parabole des vignerons {Marc, xii,
1-12), où les « autres », à qui le propriétaire de
la vigne donne sa vigne quand il la reprend aux
mauvais vignerons, sont les apôtres, assure
Bishop Gore K Plus sûrement, la grande décla-
ration faite par le Sauveur à Pierre [Mat. hyi^
17-19), nous révèle que le Maître, « qui ailleurs
témoigne du sens profond du besoin d'un solide
fondement pour un édifice spirituel », est déter-
miné à « trouver ce fondement (pour son Église)
dans des hommes, non dans des documents », et
conduit à désigner Pierre comme « quelque chose
sur quoi il peut bâtir ». Tu es Pierre, et sur cette
pierre je bâtirai mon Église, « c'est-à-dire mon
1. p. Lagrange, Évangile selon saint Marc (19H), p. 289 : « La
vigne sera donnée à d'autres, dont on ne peut dire s'ils figurent
les apôtres, comme nouveaux chefs d'Israël, destinés h juger les
douze tribus, ou les Gentils ».
16 CATHOLICISME ET VkVÀVTÊ.
Israël, l'Israël du Messie maintenant reconnu, et
cet Israël sera, comme les prophètes l'ont tou-
jours prédit, indestructible. Pierre sera un jour
l'intendant de la divine demeure, le Sauveur le
lui annonce dans les mêmes termes qu'Isaïe
annonçant à Eliacim {Is. xxii, 22) qu'il mettra
sur son épaule la clef de la maison de David *.
Je ne regrette qu'une chose dans cette genèse
de l'Église visible, si bien décrite par Bishop
Gore, c'est qu'il suppose les apôtres investis par
le Sauveur des mêmes pouvoirs et de la même
fonction que Pierre : or Eliacim est seul chef de
la maison du roi Ezéchias, que je sache ^.
Ce trait mis à part, Bishop Gore a toute raison
de dire que « quiconque étudie le Nouveau Tes-
tament avec des yeux frais ne pourra douter que,
après la Pentecôte, il n'y a aucune distinction
entre être membre du Christ et être membre de
l'Eglise ». Ainsi, saint Paul ne donne nulle part
à croire qu'il y a une foi qui justifie en dehors du
baptême, et que le baptême n'est pas baptême dans
le Christ en même temps que dans son corps,
1. II est très curieux de rapprocher cet exposé de G. Gore du
mémoire de F. Kattenbuscli, Der Quellon der Kirchenidee publié
dans le Festgabe {IQ21) que ses amis ont dédié à A. Harnackpour
son 70° anniversaire. J'y reviendrai plus loin. Non seulement
Kattenbusch défend l'authenticité de la déclaration, à rencontre
de Harnack qui veut y voir Une interpolation romaine du début
du n« siècle, mais encore Kattenbusch y découvre le dessein
que le Christ manifeste d'assurer après sa mort qu'il sait pro-
chaine la cohésion et la fidélité de ses apôtres sous le nom
d'Église, d'Église bâtie sur Pierre (Op. cit. p. 166).
2. Sur la situation unique de Pierre entre les douze, voyez
encore Kattenbusch, p. 167-168, note importante.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 17
l'Église. Pas trace de discipleship sans me/w-
bership ; du momeat que l'on devient chrétien on
est incorporé à une communauté, avec les obli-
gations que pareille incorporation implique. Une
nouvelle alliance s'inaugure, conclue, non point
entre Dieu et des individus, mais entre Dieu et
une Église visible i.
Voici un autre point de doctrine sur lequel
nous sommes en plein accord avec Bishop Gore.
Cette Église visible réalise son unité, primiti-
vement, par sa foi, foi commune à tous ses
membres, foi qui a pour source l'Ancien Tes-
tament expliqué par le Nouveau, et le Nou-
veau supposant une autorité préalable qui est
« la tradition », c'est-à-dire l'enseignement des
apôtres et le « dépôt » qu'ils transmettent. Cette
Eglise réalise son unité, secondement, par des
sacrements : le baptême (qui inclut la confirma-
tion par l'imposition des mains), la communion
au corps et au sang du Christ, la p^itence,
c'est-à-dire une discipline d'autorité en vertu de
laquelle les membres indignes sont rejetés de la
communion et sont absous et récupérés quand ils
ont satisfait. Les sacrements sont les symboles
1. Kattenbusch arrive à une conclusion analogue. L'Église,
annoncée à Gésarée de Piiilippe, est inaugurée à la dernière cène :
« La dernière cène, écrit-il, est l'acte dp fondation de l'Église »
(p. 169). Et il dira en terminant : « L'Eglise réellement, dès le
commencement, d'après le sens donné par Jésus à sa propre et
plus profonde volonté, est à la îoîs \Si societas fidei et spirims sancti
in. cordibus et aussi Une spécifique societas externarum reritm ac
rituum . (p. 172). Que nous' voilà loin de l'Église sans corps!
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 2
19 QATHQWQlSïtlE m ÇAP^UTlp.
effieacea d'une gpâce iMéçieure et Individuelle,
mais ils sont auasi des signes seciaux, et ils
corroborent le caraetère de l'Église qui est d'être
une. société visible. Troisièmement, l'Église est
hiérarchique, hiérarchique dans la personne d^s
apôtres, et da leurs aides, hiérarchique d&ïia la
personne des successeurs qu© les apôtres S©
dojsnent à différents degrés, avec rimpQsition
des mains comme sacrement d'investiture. Être
membre de l'Église,^ c*est partager s?i fQi,
p.ejpséYérer dans sa soçieta» s<icramento;Fum>
se soumettre à sa hiérarchie.
L'erreur du protestantisme d'autrefois est
d'avoir voulu que rÉglise fût seulemeut une
sQ/oieta sanctarum, société indépendante de tout
établissement extérieur, saints dQut rien ne réyé-
lerait ici baa la sainteté : cette conçeptiQft de
rÉgUs.e n'est pas scripturaire, dit fortem.ent et
justement Bishop Gore.
En étant d'accord avec Biahop Gope sur les
considérations qui précèdent, signalons-Tlui nne
lacune. L'Église qu'il décrit est l'Église locale :
c'est l'Église d'Antioehe, c'est l'Église d'Épbèse,
c'est l'Église de Gorinthe..., chacune d'elles
réalisant pour ses membres l'unité de foi, la
çommunio saci'ameiUorum, l'ordre hiérar-
chique. En fait, ces Églises locales ne laissaient
pas d'être unies les unes aux autres : il y avait
entre elles circulation de l'unité, unité qu'elles;
étaient toutes eusemb.le, unité visible com,m.e
C^THQLdÇISME ÎT PAPAUTE, 10
elles, et qui canstitti«iit ce qu'elles nommeront
précisément du nom de catholicisme. Le catho-
licisme des Églises de l'âge apostolique n'était
pas dans leur charité réciproque seulemei^t, dans
les devoirs qu'elles pratiquaient de l'hospitalité,
de l'a^imône, ou même de la monition fraternelle ;
il n'était pas seulement dans les nouvelles qu'elles
se donnaient les unes aux autres et qui faisaient,
par e3?emple» q^e la foi des chrétiens de Rome
ét^it célèbre dans le monde entier {Rom. ï, 8) ; il
y avait entre ces Églises du monde entier une
communion, analogue à la communion qui unissait
entre eux les membres de chacune d'elles, et le
catholicisme, avant que le mot lui-même apparût
(il est prononcé pour la première fois par saint
Ignace d'Antioche), était la communion des
Églises. Le symhole ne dit pas que nous croyons
aux saintes Églises catholiques, mais à la. sainte
Église catholique.
!^t de même que, en chaque ÉgUse, une autorité
était eoRstit^aée, ainsi était-il logique et nécessaire
qu'mie autorité se fit sentir qui veillât sur la çom-
muDiion des Églises, Là est, rintéret du « décret
des apôtres » {Aet. xv, 22-29) adressé (< aux frères
à Anti.Qche,. eii Syrie, en Giliçie »^ ou de «la solli-
citi^de de toutes les Églises » (H Cor, xi, 28) que
porte Siâiut Paul au moiftSs dans les limites de son
apostolat, premiers linéaments saisissables d'une
organisation de l'unité catholique.
Fa.isQn^ ahstracti.on un. instant de ce que
20 CATHOLICISME. ET PAPAUTÉ.
Bishop Gore n'a pas considéré, ne retenons que
ce qu'il considère, mais disons avec lui que, telle
étant la perspective où se révèle à nous le chris-
tianisme de l'âge apostolique, la Réforme protes-
tante, quand elle entreprit d'établir sur des bases
nouvelles ce qu'elle imaginait être la pure Eglise,
« fit violence aux principes fondamentaux du
catholicisme tels qu'ils s'étaient affirmés depuis
le commencement ». Que le protestantisme ait
porté des fruits, que l'Esprit Saint ne lui ait pas
refusé sa présence et son aide, Bishop Gore se
sent pressé de le déclarer, et il nous demande au
moins de ne pas méconnaître la validité du
baptême des hérétiques, ce que nous serions
mal venus à lui refuser. Dans sa générosité,
Bishop Gore honore les fruits de l'Esprit même
chez les Quakers [Society of Friends), qui ne
connaissent pas le baptême. Mais il ne peut pas
ne pas reprocher au protestantisme (continental)
d'avoir déçu le monde : il a été, écrit-il, a pro-
found disappointment, et, depuis qu'il a perdu
la foi au Livre infaillible, il n'a plus été qu'insta-
bilité, faiblesse, et continuelle désintégration.
Bishop Gore n'oublie qu'une chose, qui est que
le protestantisme évolué que nous avons sous nos
yeux a parfaitement conscience de son évolutioù
et n'a nulle envie de redevenir un catholicisme,
pas même le catholicisme que lui proposerait
Bishop Gore^.
1. Voyez cependant P. Charles, La robe sans couture, Un essai
CATHOLICISME EtyPAPAUTÉ. 21-
Car Bishop Gore propose aux protestants,
comme le seul moyen valable de réintégrer
l'unité primitive, de se rallier au scriptural
catholicism de l'Eglise d'Angleterre, comine
au seul qui « a maintenu les éléments essentiels
du catholicisme, symbole, sacrements, succes-
sion apostolique ». Tel est le plaidoyer Bishop
Gore pro domo'^.
Nous aurions mauvaise grâce à prendre acte
des critiques que lui inspire sa propre Église, et
nous n'avons pas envie de controverser avec lui
sur les mérites qu'il relève en elle; nous consta-
tons seulement que, de son propre aveu, il est
autour de lui « des personnes sur qui l'ordre
majestueux et l'unité de pratiques de l'Eglise
romaine exercent une fascination presque irré-
sistible,, par contraste avec les désordres » de
l'Église d'Angleterre. Et sans doute pour com-
battre cette fascination, Bishop Gore a consacré
tout son second discours à dire ce qu'il reproche à
l'Église romaine. C'est pour nous la partie capi-
tale de son exposé.
de Luthéranisme catholique (1923), et l'étUde que j'en ai faite SOUS le
titre de « La Haute Église allemande » dans la Revue des jeunes de
septembre 1924.
1. Il l'a repris quelques mois plus tard dans son livre The Holy
Spirit and the Church (1924). On pourra rapprocher la doctrine de
Gore de celle de Bisliop A. Headlam, The Church ofEngland (1924),
p. 154-190.
22 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
II
J'examinerai d'abord quelques considérations
de Bishop Gore qui servent d'introduction à son
second entretien. Écoutons^le.
Dans l'iiistoire de ce qu'est devenu le catho-»
licisme primitif à travers les âges, le développe-
ment de l'Église romaine tient la plus large place,
et la caractéristique de ce développement est
l'impérialisme, que l'Église romaine doit à l'em-
pire romain dont elle a pris la place.
Ce disant, Bishop Gore n'est pas le premier à
vouloir faire du catholicisme romain la suite de
l'Empire romain*, et assurément nous ne nierons
pas que dans l'action séculaire de l'Église romaine
il n'y ait eu, à l'état latent, quelque chose du génie
de continuité et d'ordre de la vieille Rome, et
dans la dévotion témoignée à l'Église romaine
par les Églises du monde ancien ou barbare un
sentiment qui s'adressait pour une part à la
« Ville Éternelle », plus tard à la « Romanité ».
Ce sont là des impondérables dont il faut tenir
compte sans croire qu'ils suffisent à tout expli-
quer. Le catholicisme est devenu à la fin du
IV" siècle la religion de l'Empire romain : il réa-
lisait une unité qui était adéquate, si l'on veut, à
l'Empire romain, mais dans un autre plan, et
1. Thème cher à A^ Harnack, par exemple, Essence du christia-
nisme (1902), p. 265.
Bishôp Gore iiè voudrait pais dire que Vi^ée
d'utiité dans l'Église est une idée énlpruntée au
système politique de Rùme.
Géttè idée, lïiyslique et soôiale, est paî'tôut
opérante dàiiB lès Églises, à Carthagê, à Alexan-
drie, à Aûtioche, jusqu'en Petue autour de l'éVê-
qué ou cittholicos de Gtésiphon.
Ge que vôtiis prenez pôuî* de rimpérialisme chez
les papes, c'est lé sens, qti'ils ont de là cbmniu-
nauté universelle qu'est la Gïiiholicd, là sollici-
tude de toutes les Églises, l^Lpot^istùsàbiil \\é se
sentent ifevètus à leur égard. Ils croient âVôil"
mission pour Cela, et c'est unique, mais ce n'feàt
pas de l'impérialisme, e'eisl de l'&pdstôlât.
Je nie que les indices relevés par Bishop Gorè
soient davantage dès indicés d'impérialisme ^
Ainsi, pour Bishop Gore, l'impérialisnie dé
l'Église romaine est pour Une part révélé pài"
Bonifâce VllI dans la bulle Unàrfi sânùtam, en
1302, où on lit (je me tienë à là traduction de
Bishop Gore) : « Nous déclarons, àffirîiioiis, défi*
nissôns et prononçons qu'il est absoltiineiit dé
nécessité dé saltit pour toute créature humaine
d'être soumise au pontife romain ». Acceptons
Cette traduction.
Nous aurions souhaité voir Bishop Gof e rap-
peler queia soumission réclamée par Bonifaee Vlïî
est ici en fonction de rindépendàncè et dé la
suprématie de là puissance spifituéïlé sur là
puissance temporelle, du saeerdoHum sur îè
24 . CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. ' J
regnum^ la. puissance spirituelle étant exercée
parle pontife romain. Le principe de la supré-
matie du sacerdoce, abstraction faite des appli-
cations politiques que les papes et leurs cano-
nistes du XI^ au xiv^ siècles voulaient en tirer,
est un principe que le catholicisme romain a tou-
jours défendu et défend encore : plût à Dieu qiie
toutes les Églises l'eussent défendu aussi ferme-
ment et aussi persévéramment^ Mais ce prin-
cipe n'est pas l'impérialisme.
L'impérialisme de l'Eglise romaine serait ex-
primé, d'autre part, dans le canon du concile du
Vatican où il est déclaré que lés « définitions du
pontife romain sont irréformables par elles-mêmes
etfnon^en vertu du consentement|de l'Église ».
Gela signifie, dit Bishop Gore, que « l'Église
romaine est toute l'Église et l'infaillible Église »,
et, ajoute-t-il, sans contester la grandeur ou
la gloire de l'Église romaine, « je veux montrer .
simplement pourquoi nous repoussons sa préten-
tion d'être toute l'Église catholique et par elle-
même le siège de l'infaillibilité ». Et cela non plus
n'est pas de l'impérialisme. Mais il faut insister.
1. Bishop Gore est de notre avis (p. 45), quand il déplore que
l'Église d'Angleterre ait noyé son autorité spirituelle dans celle dé
l'État, abandonné sa liberté d'action aux mains de l'État, et donné
le spectacle d'une indiscipline qui la discrédite, maintenant que
l'État est indifférent ou impartial en matière de religion. Cf. Har-
«ACK, Essence du christianisme, p.261 : « (L'Église Romaine) a main-
tenu en Occident l'idée de l'indépendance de la religion et de
l'Église contre les tendances dé l'État à dominer sur le terrain
spirituel... C'est un motif de reconnaissance que nous avons à
l'égard de l'Église Romaine ».
l ^ CATHOLICISME ET PAPAtTÉ. ~ 25
Bishop Gore a certes bien raison de dire que
l'Église romaine n'est pas toute l'Église catho-
lique. Il est, en effet, de théologie élémentaire
que, l'inerrance de l'Église étant posée en prin-
cipe préalable, le sujet de cette infaillibilité n'est
pas le pape seul, mais est constitué aussi bien,
soit par les évêques dispersés à travers le monde,
soit par les évêques réunis en concile œcumé-
nique. Assurément, en réaction contre les erreurs
du concile de Constance et du concile de Baie,
en réaction contre les tendances de la décla-
ration du clergé français de 1682, les théolo-
giens romains ont insisté presque unilatéralement
sur l'infaillibilité du pape, et la constitution
Pastor aeternus du concile du Vatican ne
considère que le Pape et ne définit que ses
pouvoirs ; à peine prend-elle soin de noter que
la juridiction universelle qui appartient au Pape
ne saurait nuire « au pouvoir ordinaire et im-
médiat de la juridiction épiscopale* ». Mais pour
autant la doctrine n'est pas abolie qui reconnaît,
soit aux évêques dispersés, soit aux conciles
œcuméniques, leur infaillibilité. Par deux fois
même, la constitution Pastor aeternus énonce
que ses définitions sont promulguées par le pape
1. Sur la coordination des deux juridictions, voyez l'encyclique
Satis cognitum (29 juin 1896) de Léon XHI, au paragraphe qui com-
mence ainsi : « Neque vero pdtestati geminse eosdem subesse con-
fusidnem habet administrationis... » Le pape se réfère à saint
Thomas, in iv Sent. dist. XVII, a.' 4, ad q. 4,. ad 3. C'est là un point
de doctrine qui appellerait des développements étendus.
26 CÂTHÔLÏCISÎAE et PAPAtïtÉ.
« sacro approbante coiicilio », et elle rappelle
que les pontifes romains n'ont procédé à des
définitions dans le passé qu'en concile œcuméni-
que ou après avoir vérifié le sentiment de TÉglise
disséminée dans le monde, « coiivocatis oecu-
menicis conciliis aut explorata Ecclesiae per
orbem dispersae sententla^ ». Ignore-t-on le
soin qu'a piis Benoît XV de soumettre le Gode
de droit canonique à tous les évêques résidentiels
et de solliciter leurs amendements, avant de le
publier, et aussi bien le dessein du pape Pie XI
de rouvrir le concile œcuménique suspendu du
Vatican?
Ces observations sont préliminaires à la thèse
propre de Bishop Gore, dont je vais examiner le
premier argument.
III
Il consiste à dire que, « si nous lisons le Nou-
veau Testament comme un tout, nous voyons que
1. Cf. même encyclique, même paragraphe : « Romani autem
pontifices, officii sui memores, maxime omnium consei'varî volunt
quidquid est in Ecclesia divinitus constitutum : propterea quemad-
modum potestatem suam ea qua par est cura vigilantiaque tu-
entur, ita dedere et dabunt operam ut sua episcopis auctoritas
salva sit... » Rapproctier le paragraphe qui commence ainsi : « Si
Pétri eiusque successorum plena et summa potestas est, eatamen
esse ne putetur sola... Episcopi, quod succedunt apostolis, horum
potestatem ordinariam Jiereditate capiunt, ita ut intimam Ecclesiae
constitutionem ordo episcoporum necessario attingat. Quamquam
vero neque plenam neque universalem ii, neque summam obti-
nent auctoritatem, non tamen vicarii romanorum pontiïicum pu-
tandi, quia potestatem gerunt sibi propriam, verissimeque popu-
lorum quos regunt antistites ordinarii dicuntur. »
CATHOLICISME ET PAlPAtTÉ. 27
l'idée de quelque autorité officielle donnée à
Pierre au-dessus de ce qui était donné à tous les
apôtres, n'est supportée par rien ».
Bishop Gore se montre ici d'un radicalisme
qui contraste avec son caractère et la modération
ordinaire de sa pensée. Je comprendrais qu'il
exploitât la difficulté particulière que nous avons
à démontrer que la fonction exercée par Pierre
dans le collège apostolique est une fonction qui
pouvait et devait être héritée par l'évêque de
Rome dans l'Eglise. Mais cette fonction même,
entant qu'exercée par Pierre, es.t indéniable pour
tout historien qui se défend contre les préventions
protestantes. Je citerai à l'appui, simplement,
ces lignes de M. Harnack: (c Les exégètes et les
historiens protestants sont enclins à sous-estimer
la place de Pierre parmi les apôtres et dans la
communauté primitive. (En réalité), déjà du vi-
vant de Jésus il est, à titre de porte-parole et de
primus^klB. tête (des apôtres), et comme la pers-
pective messianique n'admettrait pas de primus
entre les douze, il faut que cette prééminence
s'explique par les qualités personnelles de Pierre
et le fait que Jésus les a reconnues ». Remar-
quons que c'est bien là le moins que l'on puisse
dire, et je préférerais que M. Harnack nous parle
d'une désignation formelle par Jésus, non d'une
acceptation {Anerkennung)^ mais passons.
M. Harnack poursuit en disant que cette position
de Pierre dût être sauvegardée et fortifiée par le
28 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. -
fait que Pierre fut le premier à qui se montra le
Christ ressuscité. Sans doute, ensuite, la place
occupée par Jacques menaça celle.de Pierre, mais
« pour les chrétiens de la gentilité rien ne fut
changé ». Dans « les cercles palestiniens d'où
l'évangile de Mathieu est sorti, on racontait que
Jésus avait déclaré formellement bâtir son Eglise
sur Pierre; dans le cercle johannique, on racon-
tait que le Christ ressuscité lui avait confié la
conduite de son troupeau » ; et personne ne con-^
testait que « ceux qui propageaient ces récits
pensassent à une réelle primauté de Pierre dans
la charge des âmes ». M. Harnack ajoute que
Pierre n'était plus vivant quand ces déclarations
le concernant se répandirent (cette assertion du
critique berlinois appellerait plus d'une réserve),
il ajoute aussi, et ceci répond droit à Bishop
Gore : « Si les épitres paulines et les autres
sources ne connaissent rien de ce Seelsorgeprimat
(primauté de charge d'âmes), elles n'en relèvent
pas moins le prestige de Pierre et son action ^ » .
Un des nôtres, le P. Prat, amis en lumière ce
fait que « toutes les fondations de Paul rele-
vaient directement de lui », et que « sur lui
seul pesait vraiment la sollicitude de toutes les
Eglises » (II Cor. xi, 28) par lui établies 2. Nia
1. A. Harnack, Entstehung undEntwickelung der Kirchenverfassimg
(1910), p. 6. Dans le même sens, G. Weizsaeckeh, Bas apostoUsche
Zeitalter (1900), pp. 465 et 467. Ed. Meyer, Ursprung und Anfaenge
des Christentums, t. III (1923), p. 151 et 229.
2. F. Prat, Théologie de saint Paul, t. II (1912), p. 429.
CATHOLICISME BT, PAPAUTÉ. 29
Gorinthe, ni ailleurs, l'apôtre « n'admet d'autorité
capable de tenir la sienne en échec * ». C'est là,
du moins, un trait incontestable du caratère et
de la méthode de l'apôtre. Mais, en fait, les Egli-
ses par lui établies ne se sont pas tenues à cette
volonté, si fortement que saint Paul l'ait expri-
mée : elles ont accueilli d'autres missionnaires,
et nous savons avec quelle vigueur saint Paul a
eu parfois l'occasion de les combattre, ainsi dans
l'épitre aux Galates. Or, à Gorinthe, la com-
munauté a accueilli ApoUos : tout aussitôt les
fidèles ont été divisés, les uns se réclamant de
Paul, les autres d' ApoUos, et d'autres encore se
réclamant du Ghrist, ce qui était une façon de se
rattacher à une autorité plus haute qu'Apollos ou
que Paul. Il est cependant une autorité qu'on in-
voque aussi, et cette autorité est celle deGéphas.
Remarquez l'ordre dans lequel Paul range ces
autorités, en commençant par la sienne, en nom-
mant celle du Ghrist la dernière, progression
certainement intentionnelle : « Il m'a été rapporté
par ceux de Ghloë qu'il y a des dissensions
entre vous, chacun de vous disant : Moi je suis
à Paul! Et moi à Apollos ! Et moi à Géphas! Et
moi au Ghrist ! » (I Cor. i, 12). L'apôtre Pierre
est-il venu à Gorinthe? Jamais jusque-là. Il y
est donc connu, conclurons-nous, connu comme
une autorité que l'on met au-dessus de celle de
1. Ibid. p. 432.
3.Ô oATgQiLieis.aïE m papAvte,
Paul, d'ApollOs, autorité qui n'en a, sur terre,
aucune autre plus haute qu'elle, puisque Tonne
peut après Pierre que se réclamer du Christ.
Paul, en écrivant aux Corinthiens, s'applique à
leur faire entendre qne soit Paul,[soit ApoUos, soit
Géphas, ne sont que des serviteiirsdes serviteurs
dp Dieu, et que tous, apôtres et fidèles, sont au
Christ, çonime le Ghrigtest à Dieu (I Çof\ m, 21-
23), n ne conteste pas pour antant le privilège
que Pierre a d'avoir été le premier à qui le
Christ ressuscité s'est montré (xy, 5) ; il m^t eer-
tainement Pierre au-dessus des antres apôtres,
au-dessus des « Frères du Seigneur >x (ix, 5). Il
n'a pas. un mot pour raJbaisser l'autorité que lui
reconnaissent les Gorinthiens qui se yéclanient
de lui.
IV
Le second argument de Bishop Gore pour
rejeter le catholicisme romain, revient à dire que
l'histoire ancienne de l'Église nous fait connaître
des Eglises qui coexistent et qui ont chacune des
caraçtéristiqnes différentes : il y a l'Église qui
parle grec, il y a une Église qui parle syriaque,
il y a l'Église d'Afrique, il y a l'Église de Rome,
il; y a l'Églises celtique : et en partie à cause de
ces différences, de très bonne heure, l'unité se
maintenait dijGScilement entre ces Églises. Dans
les teHipE! primitifs» Bisbop Gore yetit qufjla part
la plus grande de notre gratitude aille à l'Église
de langue grecque, à qui nous devons notye ter-
minologie théologiqu.e et notye intelligence du
Nouveay Testament. Plus tard, l'Église d'Afri-
que fot anéantie^ l'Église syriaque fut perdue
de Yue, l'Église celtique fut romanisée, et il ne
resta plus en face l'une de l'autre que Ronxe et
Gongtantinople, riyales d'aml)ition, dont, Vanta-
gpnisme èibQiJtira au sçbisme, la respojiBalîiliité
eu devant être partagée entre les deux: Églises
également- Bishop Gore se demande donc : « En
se sépaTant du Siège de Rome, en 1054, l'Église
d'Orient a^t-elle, au sujet de l'autorité de saint
Pierre considérée comme se perpétuant dans
l'Église Romaine, abandonné quelque cbose qui
ait été de son credo à quelque époque que ce sott?
La réponse est : Non. Le cattoUoisme grec n'a
pas connu une telle doctrine ».
Bisbop Gore app.nie cet argument snr deux
preuves, dont la première est prise à nne page
de VfJistQire amiejiM de l'Église^ t. II, pp. 659-
661, de M*^"" Bnchesne. Il est habile de se servir
du témoignage d'un historien catholique romain
contre, le catholicisme romain, mais ce témoignage
est-rii si probant que le pense JSiahop Gore?
M^'' Duchesne a voulu expliquer dans cette page
comment l'autorité du prince chrétien s'est ins-
tallée dans le catholicisme. La religion chrétienne,
au iv^ siècle, dit^ii, devint la religion de l'empe-.
32 _ CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
reur, non seulement en ce sens qu'elle était pro-
fessée par lui, mais « en ee sens qu'elle était
dirigée par lui ». Et cette évolution s'est produite
parce que « la papauté, telle que l'Occident la
connut plus tard, était encore à naître ». En
d'autres termes, il n'y avait pas, dans l'Église du
iv° siècle, « une autorité centrale, reconnue et
agissante ».
Assurément, parler de papauté à propos de
siècles où ce nom même de papatus était inconnu,
serait un anachronisme : ne cherchons pas au iv^
siècle un cardinal Deusdedit et son Dictatus pa-
pae. Mais est-on autorisé à dire qu'il n'existait pas
dans le catholicisme du temps de Théodose une
Église qui était une autorité normative, reconnue
et consultée? L'Église romaine n'était-elle pas
l'Église à la communion de laquelle il fallait
appartenir, pour être sûr d'appartenir à la Catho-
lica ? L'Église qui seule au monde prétendait avoir
la sollicitude de toutes les Églises ? L'Église qui
croyait pouvoir accueillir des évêques que des
conciles orientaux avaient déposés, se prononcer
sur leurs causes, les renvoyer en Orient inno-
centés et confirmés? L'Église à qui les orientaux
demandaient, comme au temps de saint Basile,
qu'elle prononçât pour eux sur la doctrine et sur
les personnes ?
La politique de Constantin à la fin de son règne,
la politique ensuite de Constance II et de Valens,
a brouillé ce jeu normal et voulu imposer au
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ, 33
catholicisme un césaropapisme, contre lequel, le
catholicisme d'un saint Athanase, d'un saint
Hilaire, fut une protestation éclatante. Ce césa-
ropapisme était lui-même le produit de l'aria-
nisme, en quête de réviser le Nicaenum ! L'Orient
reviendra à la foi de Nicée, au temps de Théodose,
mais il ne se débarrassera jamais du césaropa-
pisme, qui, atténué ou virulent, empoisonnera le
catholicisme grec.
Pendant ce temps, le catholicisme occidental
resserrait les liens qui le rattachaient à Rome :
saint Ambroise le fixait dans la doctrine de l'indé-
pendance et de la suprématie du sacerdoce. Le
catholicisme grec et le catholicisme occidental
tendaient à s'opposer comme deux mentalités et
comme deux politiques. L'Église romaine sentit
le péril de cette dissociation, et dès lors elle agit
dans le dessein de confirmer l'unité par la pri-
mauté, deux valeurs qu'elle savait bien qu'elles
appartenaient au passé du catholicisme.
C'est ici que la page de V Histoire ancienne de
V Église de Duchesne aurait gagné à être rappro-
chée de tel ou tel chapitre de son autre livre.
Églises séparées (1896). Bishop Gore aurait pu
lire notamment le résumé de l'histoire de la
primauté romaine aux trois premiers siècles
(p. 155) : ■
« Ainsi, toutes les Églises du monde entier, depuis
l'Arabie, l'Osroëne, la Cappadoce, jusqu'stux extrémités
de l'Occident, sentaient en toutes choses, dans la foi,
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 3
34 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
dans la discipliae dans le gouvernement, dans le rituel,
dans les œuvres de charité, l'incessante action de l'Eglise
romaine. Elle était partout connue, comme dît saint îré-
née, partout présente, partout respectée, partout Suivie
dans sa direction. En face d'elle nulle concurrence, titille
rivalité. Personne n'a l'idée de se mettre sur le" même
pied qu'elle. Plus tard, il y aura des patriarcats et autres
primaties locales. C'est à peine si^ dans le cours du
iii^ siècle, on en voit se dessiner les premiers linéaments
pluis ou moins vagues. Aii-dessùs de ces organismes en
voie de formation, comme au-dessus de l'ensemble dés
Églises isolées, s'élève l'Église romaine dans sa majesté
souveraine, l'Église romaine représentée par ses évêques,
dont la longue série se rattache aux deux coryphées du
chœur apostolique ; qui se sent, qtii se dit, qui est consi-
dérée par tout le monde comme le centre et rorgané de
l'unité. »
Voilà ce qu'était le passé de la primauté
romaine i. 11 s'oblitère dans les épreuves de la
persécution de Dioclétien ; il est tenu en médiocre
considération par Constantin; mais quand l'épis-
copat de cour qui se forme autour de Constance II
manifeste contre cette primauté par la lettre iûso-
îente qu'adresse en 340 au pape Jules Eusèbe de
Nicomédie et son concile d'Antiôche, Rome répond
au nom de son propre concile pour revendiquer
les droits de la primauté, à commencer par le
droit d'accueillir l'appel de saint Athanase, et
nous avons cette lettre fameuse du pape Jules, pu j
disait Tillemont, la vérité est défendue avec une
1. Cette vue est développée admirablement par le juriste luthé-
rien qu'est R. Sohm, Kirchenrecht, t. I (1892), p. 378-383.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 35
vigueur digne du chef des évêques. Après une
lettre pareille, et sans parler du concile de Sar-
dique qui, en 343, ne fera que la confirmer, peut-
on dire que l'Église du iv^ siècle n'a pas connu
une primauté agissante *?
Bishop Gore a une autre preuve à faire valoir.
Les orientaux, assure-t-il, quand ils avaient
besoin du secours de Rome s'appliquaient à se
concilier le pape en usant d'un langage qu'ils
savaient devoir lui plaire; jamais cependant la
papauté, telle que l'a acceptée l'Occident, n'a été
reconnue par le catholicisme grec. Les grands
conciles grecs, en effet, se sont persévéramment
tenus à n'attribuer au pape et à son Siège rien de
plus qu'une préséance d'honneur, qu'ils ratta-
chaient à la dignité historique de la vieille Rome.
Les orientaux, répondrons-nous, ont toujours
eu un sens défaillant de l'unité de l'Église 2. Ils
étaient dominés par la volonté de ne pas sou-
mettre l'Orient à l'Occident, volonté que le basi-
leus avait le plus souvent intérêt politique à
soutenir. Ils mettaient les points de controverse
dogmatique trop facilement au-dessus de tout, et
se résignaient au schisme avec une facilité pitaya-
ble. « Depuis l'avènement de Constantin à l'em-
pire d'Orient (323) jusqu'au septième concile
œcuménique (787), c'est-à-dire pendant une durée
1. Voyez tout le chapitre VIII de mon livre : La paix constan-
tinienne et le catholicisme (1914).
2. Harnack, Dogmengeschichte, t. Il*, p. HO-Hï.
36 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
de 464 ans, je ne compte pas moins de 203 années
où l'épiscopat (oriental) fut et demeura en schisme
avec le Siège apostolique * ». Et si Bishop Gore,
comme je l'imagine, n'admet la légitimité ni du
schisme issu de l'arianisme, ni du schisme issu
de la condamnation de Ghrysostome, ni du
schisme d'Acace, ni du schisme à propos du mo-
nothélisme, ni du schisme à propos des images,
comment peut-il tirer quelque avantage contre
Rome de ces 203 années où l'Orient a tourné le
dos à la catholicité?
Soit, nous dira-t-on, acceptons que l'Orient a
attaché trop peu de prix à la communion catho-
lique (ce serait bien grave déjà !), du moins
reste-t-il que ses conciles généraux n'ont accepté
de reconnaître à l'évéque de Rome qu'une
primauté de même ordre que celle qu'ils récla-
maient pour l'évéque de Constantinople. C'est
l'histoire bien connue du 28^ canon du concile de
Ghalcédoine, en 451, aux termes duquel est recon-
nue au Siège de Gonstantinople la même primauté
qu'au Siège de Rome, en considération de ce que
Gonstantinople est ville souveraine comme Rome,
bien qu'elle soit au second rang après Rome.
Pouvons-nous oublier pour autant que le pape
saint Léon a protesté avec énergie contre ce
canon? Que l'empereur Marcien, pour réconcilier
le pape Léon et l'évéque de Gonstantinople Ana-
1. DtJCHESNB, Églises séparées (1896), p. 164,
dATHOtlCÎSMB ET PAPAUTÉ. 37
tolios, inspirateur de ce canon litigieux, a promis
au pape que Tévèque donnerait toute satisfaction ?
Que Léon a insisté auprès de l'empereur, spéci-
fiant qu'il s'agissait pour Anatolios de satisfaire
aux lois' mêmes de l'Église? Que l'empereur a
décidé Anatolios à se soumettre, et qu' Anatolios
enfin a écrit au pape Léon qu'il n'était pour rien
dans la rédaction du 28® canon, que seuls en
étaient responsables ses clercs qui l'avaient pro-
posé et les évêques qui l'avaient voté, et que
d'ailleurs la confirmation de tous les actes du
concile de Ghalcédoine était réservée au pape,
« cum et sic gestorum vis omnis et confirmatio
auctoritati vestrae beatitudinis fuerit reser--
vata * » ? L'évêque de Gonstantinople lâchait le
28^ canon comme Bossuet lâchera la, déclaration
de 1682, et au pape Léon était laissé le der-
nier mot. Est-ce là ce que nous appellerons une
préséance d'honneur, « an honorary prece^
dency » ?
En réalité, les soixante-dix ans qui séparent
le concile de Gonstantinople de 381 de celui de
Ghalcédoine, sont les années de la courbe re-
montante du crédit du Siège apostolique en
Orient. Les échelons de cette courbe sont aisé-
ment reconnaissables. G'est d'abord le recours
de saint Jean Ghrysostome à Rome et l'action
du pape Innocent en réponse à ce recours,
1. Inter s. Leon. Epistul. CXXXII, k. .
38 CATHOLICISME ET fAPAUTÉ.
finalement le succès de cette action en dépit
de la résistance de Gonstantinople, d'Antioche,
d'Alexandrie. Vingt-cinq ans après, c'est l'in-
tervention du pape Gélestin en Orient par la
sentence prononcée à Rome contre Nestorius, et
le pape obtenant du concile d'Éphèse, d'abord,
puis de l'empereur Théodose II» la condamnation,
la déposition, la relégation de Nestorius, en
dépit des maladresses de l'évêque d'Alexandrie,
Cyrille, qu'il a chargé de tenir sa place, et en
dépit de l'obstruction de l'évêque d'Antioche,
Jean. Vingt ans plus tard^ c'est le concile de
Ghalcédoine, l'entente de saint Léon, de Flavien
de Gonstantinople, de l'empereur Marcien, le
désaveu du « brigandage d'Ephèse », la condam-
nation de l'évêque d'Alexandrie, Dioscore; au
demeurant, le point culminant de la reconnais-
sance par l'Orient de la primauté de Rome.
Je ne vois pas que Bishop Gore tienne compte
de cette courbe ascendante, si remarquable,
grâce à laquelle les relations de Rome et de
l'Orient au iv" et v° siècles prennent tout leur
sens. Les théologiens de chez nous supposent
dans ces relations une constance organisée qui
ne répond pas à la complexité concrète et
mouvante des faits. Mais les théologiens angli-
cans ne veulent retenir que ceux de ces faits
([ui contredisent cette constance : voyez F. W-
Palier, dans son livre si instructif The primitive
Saints and the see of Rome (3^ édit. 1914), met-
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 39
tant en tout son relief le schisme d'Antioclie
et le schisme d'Acace, et ne disant pas un mot
du pape Innocent, du pape Gélestin, du pape
Léon ! C'est une véritable gageure ! Je suis per-
suadé que tous les faits se concilient harmonieu-
sement dans la perspective d'une primauté
romaine, qui, vis-à-vis de l'Orient arien se ré-
serve, vis-à-vis de l'Orient revenant à l'ortho-
doxie nicéenne se prête aux avances de saint
Basile, vis-à-vis de l'injustice faite à saint Jean
Ghrysostome met à sa communion avec l'Orient
des conditions intransigeantes, vis-à-vis de
l'erreur de Nestorius se prononce souveraine-
ment, et à Ghalcédoine voit reconnues ses reven-
dications à une primauté de doctrine et de
juridiction. Ce qui est accepté de l'Orient en 451
n'était accepté ni en 340, ni en 381, il faut le
dire; mais ce qui est admis en 451, et que le
demi-siècle qui précède a préparé à admettre,
est bel et bien admis par un grand concile, le
concile de Ghalcédoine, il faut que Bishop Gore
s'y résigne.
A la séance d'ouverture du concile de Ghalcé-
doine, le légat du pape Léon s'oppose à ce que
Dioscore prenne séance parmi les évêques :
« Nous avons, déclare-t-il, entre les mains, des
instructions [praecepta) du bienheureux et apos-
tolique évéque de la ville des Romains, lequel
est le chef de toutes les Eglises, qui est caput
omnium Ecclesiaimin.. Ou Dioscore sortira.
40 CATHOLICISME ET PAPAtTÉ.
OU nous nous retirons * ». Pourquoi les cinq
cents évêques présents ne protestent-ils pas
contre ce langage du légat? Mais non, ils ne pro-
testent pas, ils acquiescent. Le concile fini, et
fini conformément au programme du pape, ils
écrivent à saint Léon une lettre synodale où
ils disent : « Tu es venu jusqu'à nous, tu as
été pour nous tous l'interprète de la voix du
bienheureux Pierre. Nous étions là environ cinq
cents évêques que tu conduisais comme la tête
conduit les membres ». Ils demandent que le
28® canon soit approuvé par le pape : « Nous te
prions d'honorer de ta confirmation cette décision
(par nous prise), et, de même que nous nous
sommes pour le bien accordés avec (toi qui es) la
tête, (nous avons confiance) que la tête consen-
tira aux enfants ce qui convient ^ » .
Dans la Declaratio fidei adressée en 1922
par la E. G. U. ^ au patriarche de Gonstantinople,
Bishop Gore et ses amis professent que le
concile œcuménique a dans l'Eglise, une, sainte,
catholique et apostolique, le pouvoir suprême
{summam potestatem) * : or, voici un concile
œcuménique qui déclare avoir pris pour règle
1. Harduin. Concil. t. II, p. 67.
2. inter 6. Léon. Episud. XCVIII. Nestorius vers le même temps
qualifie Léon de « chef des prêtres » (qui revient à caput sacerdo-
tum), dans une lettre publiée par F. Nau, Livre d'HiràcUde (1910),
p. 371. -
3. English Chureh Union.
k. The Christian East, 1922, juillet, p. 63.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 41
de sa foi la foi du pape Léon, et soumettre au
dit pape un canon sur lequel ses légats font
des difficultés. Quelle déférence le concile œcu-
ménique met dans sa souveraineté! En réalité,
le concile est souverain, mais il ne l'est pas
sans le pape : c'est là l'explication de sa défé-
rence, et le dernier mot présentement appartien-
dra au pape, de l'aveu même du concile, et non
pas seulement de l'aveu de l'évêque de Gonstan-
tinople. ■'
Succès sans lendemain, dira peut-être Bishop
Gore. Non, car le lendemain de Ghalcédoine, ce
n'est pas le schisme d'Acace, en 484, et la con-
nivence nouée alors par l'évêque de Gonstan-
tinople, qu'appuie son empereur, avec les mono-
physites d'Alexandrie et d'Antioche; le len-
demain de Ghalcédoine, c'est la fin du schisme
d'Acace, en 515, et le formulaire que le pape
Hormisdas impose à la signature des évêques
de l'Orient à qui il rend la communion. Que
professe alors cet épiscopat oriental? Que la
foi catholique s'est conservée toujours imma-
culée dans le Siège apostolique : « //i sedeapos-
toUca immaculata est semper catholica servata
religio ». Que la seule communion valide est
celle que l'on a avec ce Siège apostolique :
« ...sequentes in omnibus apostolicam sedem
et praedicantes eius omnia constituta, spero
ut in una communione vobiscum, quam sedes
apostolica praedicat, esse merear, in qua est
42 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
intégra et vevax christianae religionis soli-
ditas ». Que quiconque n'est pas en communion
avec le Siège apostolique est séquestré de la
communion de l'Église catholique, et n'a pas le
droit d'avoir son nom récité dans les saints
mystères *.
Nous pouvons maintenant reprendre la question
posée par Bishop Gore : « En se séparant du
Siège de Rome, en 1054, l'Église d'Orient a-
t-elle abandonné quelque chose qui ait été de
son credo à quelque époque que ce soit? » Et
nous pouvons dire : Oui, le catholicisme grec
a renié ce qu'il professait au temps du concile
de Ghalcédoine.
Un scrupule peut se poser ici, et l'on doit se
demander si le concile de Ghalcédoine n'a pas
témoigné au Siège apostolique une exception-
nelle déférence simplement pour complaire aux
sentiments qu'il savait bien être ceux de l'empe-
reur Marcien.
Je me rassure en considérant que, dès avant
l'avènement de Marcien (août 450), à un
moment où règne encore Théo do se II et où
Théodose II «st prisonnier de la faction d'Euty-
chès, l'épiscopat grec s'est tourné vers Rome
pour en appeler du brigandage d'Éphèse à
1. C. MiRBT, Quellen ziir Geschichte des Papsttums (1901), p. 71.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 43'
l'autorité du Siège apostolique. On ne connais-
sait naguère encore que la fameuse lettre d'ap-
pel à Rome de l'évêque de Gyr, Théodoret :
on a retrouvé depuis la lettre d'appel de l'évêque
de Constantinople, Flavien, et de l'évêque de
Dorylée, Eusèbe. Trois évêques dont celui de
Constantinople, déposés par un concile d'Orient,
font appel à Rome !
Sans doute, Rome restait la seule autorité
vers qui ces évêques pussent se tourner, 'étant
donné qu'ils avaient contre eux Dioscore le tout
puissant évêque d'Alexandrie, et son concile
d'Éphèse qui jouait au concile œcuménique, et
l'empereur Théodose. Mais quel langage tien-
nent-ils à Rome et mieux encore quel est le sens
de leur recours ?
La lettre de l'évêque de Dorylée est un hom-
mage au « Siège apostolique qui depuis le
commencement a eu soin et coutume de défendre
les victimes de l'iniquité, d'aider ceux que les
factions maltraitaient, de relever ceux qui étaient
gisants à terre ». Car l'Eglise romaine « a
un sens droit, une foi inébranlée en Notre-
Seigneur Jésus-Christ, une charité sincère pour
tous les frères... ». Ce langage n'est pas pure
adulation, a écrit M. Harnack en le rapportant,
et cela n'est pas vrai pour la première fois au
V® siècle^.
1. Harnack, Dogmengeschichte, 1. 1 4, p. 496.
44 CATHOLICISME BT PAPAUTÉ.
Non, Eusèbe de Dorylée ne tient pas là le
langage qu'il sait devoir plaire à saint Léon :
la lettre de Théodoret serait bien plus soupçon-
nable de complaisance. Mais au fond ce ne sont
pas ces considérants qui nous importent davan-
tage : l'intérêt de la démarche d'Eusèbe de
Dorylée est qu'elle est un libellus appellation
nis. Eusèbe requiert le jugement du Siège
romain ; « Vestrae sedis cognitionem poposci ».
Il conjure le pape Léon, en embrassant ses
genoux, .de prononcer que la condamnation
fulminée contre lui par le concile d'Éphèse est
nulle, et de lui rendre l'épiscopat dont on l'a
dépouillé. 11 voit dans le pape Léon une potestas
capable de casser la sentence d'un concile
d'Orient convoqué par l'empereur et présidé par
l'évêque d'Alexandrie.
Rome n'accepte pas qu'une cause jugée à
Rome soit portée en Orient. Elle entend, au
contraire, que l'on puisse faire appel au Siège
apostolique d'un jugement prononcé en Orient,
et l'Orient a maintes fois fait appel à Rome dans
ces conditions *. Nous voyons ce point de droit
observé à l'époque du concile de Ghalcédoine.
C'est seulement à partir de Photius que la thèse
a prévalu dans le Kirchenrecht byzantin qu'au-
cune intervention du pape n'était recevable en
1. Voyez P. Bernardakis, « Les appels au Pape dans l'Église
grecque jusqu'à Photius .. Echos d'Orient, 1903, pp. 30-42, 118-126,
248-257. ^
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 45
Orient. Encore faut-il observer que cette thèse
n'était pas la doctrine du parti stoiidite, je veux
dire du parti qui avait mené la campagne contre
les Iconoclastes, lequel professait que le pape
seul était capable de sauvegarder la liberté de
l'Église contre l'arbitraire dubasileus *.
Il faut renoncer à rien comprendre à l'histoire
de la papauté, si on veut se la représenter comme
une institution arrivée dès l'antiquité chrétienne
au terme de son évolution. Le catholicisme a
connu une grande variété d'expériences, depuis
le régime que Rome avait donné aux Églises
de son ressort métropolitain, jusqu'à celui
qu'elle avait donné aux Églises du vicariat de
Thessalonique. L'Afrique chrétienne, avant l'in-
vasion vandale, fut une confédération d'Églises
groupées autour de l'évéque de Garthage et
à qui Rome reconnaissait la faculté d'être sui
iuris. L'Egypte chrétienne était une confédé-
ration plus étroite, soumise à l'évéque d'Alexan-
drie avec une rigueur extrême : Rome ne connais-
sait que l'évéque d'Alexandrie, et jamais elle
n'eut, au temps d'Athanase ou de Cyrille, à inter-
venir dans le gouvernement ecclésiastique inté-
rieur de l'Egypte. Le royaume de Perse, à l'Est
de l'empire romain, formait une Église étran-
gère, ramassée autour de son catholicos, et qui
1. L. Bréhier, « Normal relations between Rome and the Churclies
oftheEast before the schism of the eleventh century •, Construc-
tive Quarterly, 1916, p. 665. J. Pargoire, L'Église byzantine de 527 à
847 (1905), p. 292-295.
46 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
n'acceptait pas que ses affaires fussent portées
devant les « pères occidentaux », c'est-à-dire
l'évêque d'Antioche et son concile. Rome exer-
çait sur la Catholica qu'elle embrassait dans
son horizon sa sollicitude, et cette sollicitudo
impliquait une potestas qu'elle exerçait par un
droit de regard, par un droit d'intervention, et
que le plus souvent elle réservait, attendant
qu'on y recourût comme à un secours.
Mais, d'une part, quiconque dans la Catholica
avait souci d'être en communion ayec toute
l'Église savait que Rome était l'Église avec
laquelle il fallait être en communion pour être
assuré d'être en communion avec toutes, et Rome
était donc l'arbitre de la communion. D'autre
part, quiconque voulait s'assurer de la foi authen-
tique, savait que Rome, qui l'avait reçu des
apôtres Pierre et Paul, en gardait le sûr et pré-
cieux dépôt, et Rome était donc la norme de la foi.
Si c'est là l'essence du catholicisme romain,
Bishop Gore n'a pas le droit de le distraire du
catholicisme tout court.
Qu'il ne nous dise pas que nous devons une
gratitude exceptionnelle au catholicisme grec
pour nous avoir donné la langue des contro-
verses. Les controverses n'ont pas fait l'unité
de l'Église, bien au contraire; le catholicisme
de Rome, avec son sens de l'ordre, de la commu-
nion, de la tradition, mérite bien mieux notre
reconnaissance ; et il est bien dommage que les
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 47
Grecs n'aient pas compris, ou plutôt aient un
jour cessé de comprendre, que le Siège aposto-
lique leur offrait ce qui leur manquait davan-
tage.
VI
Je serai très bref sur la troisième considéra-
tion de Bishop Gore. L'Eglise romaine est une
Église d'autorité, et d'une autorité concentrée
aujourd'hui dans la conscience d'un seul, qui est
le pape. (J'ai souligné, plus haut déjà, l'impro-
priété de cette formule.) Or « toute notre âme
proteste, car ce n'est pas là l'espèce de foi que
nous trouvons (prescrite) dans le Nouveau Tes-
tament », où la foi aux faits est « toujours scru-
puleusement fondée sur le témoignage adéquat
d'un témoin de première main », et où Notre-
Seigneur nous met en garde « contre la confiance
en une autorité purement ecclésiastique ». Dieu
est toujours par son Esprit dans l'Église, mais
aucune assurance ne nous est donnée que les
autorités ecclésiastiques de la Nouvelle Alliance
ne s'égareront pas, comme se sont égarées les
autorités ecclésiastiques de l'Ancienne. Par
contre, Notre-Seigneur, suprême exemple de
l'autorité, s'est montré très opposé aune méthode
purement dogmatique : « Il désire franchement
que chaque homme pense pour lui-même... » Ces
48 CATHOLICISME ET PAiPAUTé,-^
quelques lignes suffisent à indiquer le dévelop-
pement de Bishop Gore.
En le lisant, je me rappelais, dans son beau
livre Belle fin God (1921), les pages où il s'appli-
que à établir que le récit de la conception virgi-
nale est chez saint Mathieu un récit de Joseph et
chez saint Luc un récit de Marie, pour pouvoir
substituer à l'autorité d'un écrivain sacré, celle
d'un « témoin de première main » supposé capa-
ble de fournir un « témoignage adéquat ». Vrai-
ment, Bishop Gore pense-t-il que la foi aux faits
se soit à l'âge apostolique imposé cette enquête
critique, et que personne ne soit devenu chrétien
simplement en acceptant la foi de la communauté
des premiers jours, comme il est certain que c'a
été le cas de saint Paul ^ ? L'Église a été dès le
premier instant une Eglise d'autorité, et l'homme
qui réclamait le droit de penser pour son compte
a porté le nom d'hérétique, nom que lui donne
saint Paul.
De même, en écoutant Bishop Gore dénoncer
« la confiance en une autorité purement ecclé-
siastique », et rappeler à ce propos la répu-
gnance que l'Evangile nous inculque pour les
Pharisiens, je me rappelais les pages que dans
son livre Belief in Christ (1922), il consacre aux
définitions des conciles concernant la personne
du Christ. Pour Bishop Gore, ces définitions,
1. A.Headlam, st. Paul and Christianity {iQiZ), p. i(n.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 49
purement négatives, étaient nécessaires; elles
sont irréprochables en elles-mêmes, bien qu'on
puisse en abuser ; et en dernière analyse, elles
autorisent un « légitime agnosticisme ». Il y
aurait beaucoup à dire sur ces aphorismes, qui
rappellent ceux du modernisme, sans se confondre
avec eux ; pour notre dessein, nous ne voulons
en retenir que la notion d'autorité ecclésiastique
que Bishop Gore n'arrive pas à éliminer.
Cette notion d'autorité est plus en relief encore
dans la Declaratio fidei de la E. G. U. de 1922,
qui professe que les définitions de foi des conciles
œcuméniques sont irréformables, astreignent à
une obligation perpétuelle tous les chrétiens et
chacun d'eux, et que, si quelque théologien orien-
tal estime que l'Église anglicane a répudié en quel-
que point ces définitions, les anglicans entendent
ne connaître aucune répudiation de cette sorte
et acquiescent à la foi confirmée par ces conciles.
On accepte ici comme œcuménique l'autorité que
l'on rejette ailleurs comme pharisaïque.
La dernière considération que développe Bishop
Gore consiste à dire que toute autorité autocra-
tique devient fatalement une autorité sans scru-
pule, et que c'a été le sort de la papauté.
La définition de l'infaillibilité en 1870 en est
un spécimen, et à l'appui de cette assertion,
Bishop Gore cite dix lignes de lord Acton résu-
mant un tract de Dôllinger. On estimera que c'est
peu pour contester une définition dont ni Acton,
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 4
50 c^TB[oi,içigiatE ST P4PAPTÉ,
ni DôUinger, ne connaissaient les termes au
moment où ils écrivaieiiti.
Aucun des autres arguraeets dP Bisbop Gpre,
comme par exemple l'attitude de, Rome envers
Galilée, n'atteint l'infaillibilité ex cathe^r^ telle
qu'elle est définie par le concile du Yaticçinr
*
Achevoas cette discussion.
Ne craignons pas die regretter que le patholi-
cisme romain ait, au cours de tant de siècles,
souffert tant de pertes. Qu'il serait plug riche
et plus attirant, s'il comptait encore dans son
sein et l'Afrique d'Augustin qui a péri trpp tôt,
et l'Orient qui s'est séparé de luj, et l'Angleterre
que la Réforme a dévoyée? Il a eu à se défendre
seul contre les schismes, seul contre le prQtes-
tantisme, seul contre le modernisme, Il y a pris
une attitude de défensive, de concentration, de
rigueur, que son isolement lui imposait.
Dieu lui réserve-t-il une nouvelle jeunesse?
Elle lui pourrait venir de la confiance et dn
retour des Églises séparées qui, jusqu'ici^ se
sont si omhrageusemPnt enfermées dans leur hos-
tilité héréditaire. Ce que Je sais bien, c'est que
l'unité, dont il semble que les Églises séparées
1. p. Thureau-Dangin, Newman catholique (1912), pp. 202 et
213.
CATHOLICISME ET PAPAUTE. 51
éprouvent présentement la nostalgie, est un
miracle qui ne s'accomplira pas sans l'Église
romaine et en dehors d'elle.
Dieu seul fait les miracles, mais, au témoi-
gnage de saint Paul, nous pouvons être les aides
de Dieu (I Cor. m, 9). Soyons-le donc, à quelque
rang qu'il nous appelle à lui donner notre
humble concours. Si l'unité institutionnelle doit
être la dernière à venir, l'unité spirituelle peut
être tout proche, et nous y collaborons dès aujour-
d'hui par la sincérité d'un examen comnie celui-
ci. Saint Augustin a dit en un admirable apho
risme ', v. Praecidendae unitatis nulla estiusta
nécessitas » : si nous montrons que des difficultés
ne sont pas fondées que l'on fait à l'unité romaine,
nous aurons dénoué quelques-unes des pré-
tendues nécessités qui servent encore à justifier
les vieilles ruptures.
Paris, 10 mars 1923.
M. KATTENBUSCH
SUR LE « TU ES PETRUS »
Il n'est pas possible de ne pas lire sans un vif
intérêt l'essai que M. Kattenbusch a donné
naguère sur « le point de jaillissement de l'idée
d'Église », — dei' Quellort der Kirchenidee^ —
dans le volume de mélanges ou Festgabe dédié
à M. Harnack pour le 70* anniversaire de sa
naissance'.
Assurément, on pourrait souhaiter que l'exposé
de M. Kattenbusch fût plus limpide, il ne l'est
guère, en effet, et la densité de sa pensée est
presque une gageure. Mais c'est une pensée que
l'on gagne à examiner de près, quitte à être
obligé de chercher sa thèse au rebours de son
exposé. « L'Église, dit-il, à la dernière ligne de
son mémoire, date vraiment du commencement :
elle répond à la signification donnée par Jésus de
1. Festgabe von Faehgenosten und Freundcn A, von, Harnack (1921),
p. 143-172.
54 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
son plus profond dessein : elle est la societas
fldei et Spiritus sancti in cordibus, en même
temps qu'une societas externarum i^erum ac
rituum déterminée ». Ces expressions, qui sont
augustiniennes, caractérisent bien le double
aspect de l'Église jaâissanie, sans la Caractériser
pleinement, je crois. Mais combien il est intéres-
sant de les trouver sous la plume d'uii ei'itique
aussi étranger au catholicisme historique que
M. Kattenbusch!
Car, tout de suite, il nous déclare que ce
catholicisme historique dont nous nous récla-
mons ^ c'est-à-dire le catholicisme qu'il appelle
œcuménique et orthodoxe, ou encore le « catho-
licisme confessionnel », s'est formé en opposition
aux; gnostiques et autres séparatismes du second
siècle : on reconnaît là la théorie de Ritschl,
reprise et rajeunie par M. Harnack dans son
Mareion*. M. Kattenbusch tient que cette Kon-
fessionskircke B. été précédée, préparée par « une
idée primitive de l'Église », qu'aucune Eglise n'a
continuée dans son intégrité, dans sa pureté, toute
Église pour durer devant se défendre, se resserrer,
s'endurcir. Nous voilà fixés sur la valeur de
l'organisation dogmatique et juridique du catho-
licisme. Mais la nouveauté de l'essai de M. Kat-
tenbusch n'est pas là.
Elle n'est pas davantage dans l'étude qu'il
i. A. Habnack, Marcion, eine Monographie zur Geschîehte der
Grimdlegung der kathoUschen Kirche (1921), p. 230-246.
dÀïMOLiciàME W$ i^ÀfAtJTÉ. 55
fait des eiflpldls du mot « Église » dâtis là lilté^
fâtiii*ë des pïetliièfès générations chrétiennes.
Pareille étude avait été faite déjà. La ndllveauté
de M. Kàttëtibuscli est dàiiS le commentaire (^ù'il
dôiitiè du Tu es PètHis,
Oil sait de i^èslé, ëii effet, qtle lé texte fondai
nieillËtl dé recclésidlogie â été tt-ès attaqué.
Rêcéfflment M. Hài'flàôk est revénit à là charge,
âpi'ês bien d'atitrës, et à toulti établit" que lé
Tiiês PétHts pôHe trace de î'enianiëffients fécdii-
naîssâbles*. Il ii'y était pàë dit primitivement :
a Lëë pdi'teê de f ëfifél- ne prévatldr-ont pas contre
elle j), mais « eôiitre toi », à ëiitèndre daiis le
sens qtle Pie^fé tie mourrait point. Les mots
« Stir cette pieri'e Je bâtirai mon Église » seraient
ùile iiltei'pdlatidn tendanciëtiSe, qui aurait été
àeedmpâgiiée de là substitution de « Contre elle »
a ce cdiitfe toi ». M. Hârnàck, très pénétré cdnime
ôii sait de râctidn de l'Église Romaitie dans là
chrétienté dès le sêcdiîd siècle (il l'a montré Une
fois de plus dànâ sdttMài'cion encore), conjecture
que cette retouche du Tu es Pet?'us aurait été
exécutée à tiome datis les premiètes années du
second siècle, avec le dessein de favoriser la
primauté de l'Eglise romaine. Cette hypothèse
à soulevé de divers côtés de vives critiques ^. îl est
.1. À. HARNACK. « fiet SprUCli ùebei* PetrUs als deii Fels der
Kivclie i, daûs les Sitzangsèerichtc dé l'Acadêtiiie des sciences de
Bériifl, MB, p. 637-6o4.-
i. Elle est rëjetée pât Ed. MÉtEiK, ÛrsprUri^ uhd Anfdcnge> ts I
(1921), p. 112-H3.
56 CATHOLICISME ET PÀPAUTJB.
piquant de la voir contredite dans un Festgabe
dédié à M. Harnack lui-rinême par un critique du
poids de M. Kattenbusch.
A la vérité, M. Kattenbusch ne se refuserait
pas à admettre que le texte primitif a pu porter :
a Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre
toi ». M. Harnack, écrit-il, tient cette leçon pour
parfaitement sûre : il croit pouvoir établir défini-
tivement que « les portes de l'enfer » ne signifient
pas autre chose que la mort, et que « contre toi »
est une leçon qu'impose la logique du contexte *
et que recommandent des attestations anciennes.
M. Kattenbusch est très frappé du fait que
parmi ces attestations se rencontrent celle de
Porphyre et celle d'Origène^, La promesse faite
à Pierre qu'il ne mourrait pas avant d'avoir vu
le retour glorieux du Christ aurait donc persé-
véré dans la tradition. « Je suis, dit-il, d'accord
avec M. Harnack. Mais que les mots Et sur cette
pierre je bâtirai mon Église soient une inter-
polation, je ne puis l'admettre »> (p. 165). Pour
1. On en tirera cette conclusion, que M. K. ne tire pas, à sa-
voir que cette promesse faite à Pierre aurait été fixée par écrit
avant la mort de Pierre.
2. M. Kattenbuscii y revient p. 167 et atténue son premier juge-
ment. « L'expression />or/M<ie l'Enfer ne peut êtrie interprétée avec
certitude. Porpliyreet Origènepeuventn'être que les témoins d'une
tradition. Pour un grec, cette expression éveillait la seule idée
de la mort. De plus, Porphyre, en découvrant dans le texte en
question la prédiction ou la promesse faite par Jésus à Pierre
qu'il ne mourrait pas, trouvait là une bonne aubaine pour son
scepticisme, » Quant à Origène, il put accepter l'bypothèse que, en
grec, portes de l'enfer était synonyme de mort, et voir là un sens
qui se prêtait à l'allégorie.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 57
moi, continue-t-il, il est historiquement et psy-
chologiquement tout à fait croyable que Jésus,
au moment solennel de Gésarée de Philippe, a
manifesté sa volonté d'établir une Eglise de ses
disciples.
La difficulté exégétique réside en ceci/-: avant
la scène de Gésarée de Philippe, il n'apparaît pas
d'Eglise dans la perspective de l'enseignement
de Jésus. Sans doute, le Maître a choisi les
douze, mais, écrit M. Kattenbusch, « ceinombre
douze peut avoir eu pour lui un sens symbolique
et avoir représenté Israël, le peuple de Dieu :
comment donc la compagnie des disciples est-
elle devenue de peuple une Église » (p. 164)?
Gela s'est-il fait tout seul, après qu'ils ont eu
perdu leur maître? Non, « nous avons un texte
où Jésus manifeste le dessein de fonder une
Eglise (au futur : Je bâtirai). Ce texte est-il une
parole authentique de Jésus? Je le crois, encore
qu'il soit aujourd'hui audacieux, ou peu s'en faut,
de le dire ».
D'abord que signifie le mot èxxXYjata ? Ecartons
les sens grecs que nous pourrions lui donner. Le
mot èxxXYjata répond ici à l'araméen knischta,
nous assure M. Kattenbusch sur la foi de M. Well-
hausen^, et knischta désigne une « assemblée
de culte, de service divin ». Pourquoi Jésus ne
pouvait-il pas avoir en vue (notez bien le futur :
1. J'ai touché à cette question dans mon Église naissante, p. 104.
M GÀTHOLfGISME BT PAPAUTE;
Je bâtirai) quelque kriischta de ses disciples,?
Il pense à cette knischta pour \é temps qui vieii^
dra où il lié sera plus parifti eux^ où il leur aura
été ravi. 11 leiir découvre là passion qui approGhe^
il les prépare à cette fin imminente, au-devant
de laquelleil va et qui sera la consdmriiation de
sa miÉision. Mais eux, quelle mission les attend
à leur tour ?
M. Kattenbusch imagine que la khischta que
le ëftuveuf a en vue né sera pas nécessairement
pour les disciples une rupture avec le « Temple » \
tout âU plus sera*t-elle une rupture avec 1&
« Synagogue >> , mais que pouvait être la « Syna»
gogtiè » désormais jpour eux^ sinon une étrangère
et une ennemie? Ils seront donc unis dans la fdi
qUë Pierre vi^nt de confesser^ la foi en la Messia-
nité dé Jéëus, « Christ fils de Dieu »» Il y a
plus, c'est à Pierre que Jésus confie cette knisch>^
tai « Pierre^ écrit M i. Kattenbusoh, doit être le
point ferme de la knisbhta de ses disciples^
qu'il s'agisse de prier (en commun), de célébrée
(quelque acte rituel), ou d'interpréter l'Écriture ».
A Pierre sont confiées les clés. M^ Kattenbusch
estime que le pouvoir de lier et de délier signi-
fié que Pierre décidera qui, dans la maison des
disciples, peut être admis ou doit être repoussé^
« et il faut en conclure qu'il pense à quelque
chose comme une organisation » (p. 166)»
Je ne fais que rapporter les vues de M. Kat-
tëôbtisch, et îiia {Jêliééé ïi'êSl ]^&è dé |)rôfjôsër
aôfi exégèée dottitiie si elle noua dôtiliiait le seiië
définitif enfin découvert de la pât*ole dé Jésus à
Piefrë. Sachons gré âM» Kàtténbùâch de défendre
rautheniicité et l'intégrité de ce texte ;- de n'être
pas des exégètes quij pôut* défendre cette àtlthèn^
tidité et dette intégrité j vident le texte de toute
idée ecclésiôlôgique ; enfin de ne pââ craindre
de donner à Piei're une mission qui implique
pHfiiâuté et âutoiitéi II n'est pas douteux, par
âiïîeûrë^ qtië pour M. Kattenbusch cette mission
est limitée par uUe eschatologie à courte
échéance* En toute hypothèse, l'exégësedeM; Kât-
ténbuâch ne laissera pas d'être utilisable et
instructive. Là longue noté des p. 167-168 mérite
en particulier d'attirèl* l'attention.
Et mol Je te dis tî*aduit >tâYw M ûti Xsfw. Nous
sommes habitués! à ne voir là qu'une transition.
Ou petit penser, au contraire, que Jésus fait
allusion à un surnom déjà donné à Simon, et à Un
jeu dé mots familier aUx disciples ses compa-
gmtiê : Moi aussi je të dis : Pierre tu es pierre.
Alttsi parlaient lés apôtres, quaud ils parlaient
de Simon, et Jésua fait comme êuX. Mais aussitôt
la pensée rebondit : Et sur cette pierre, je bâti'*
rài. Dès lors le surnom Pierre dévient, comme
lé surnom ChHst pour Jéstis^ l'expression qui
qualifie là mission de Simon, l'investiture dont
son maître l'honore. M. Rattèubusch ne veutpàâ
voir là que JésUs promette â Pierre uue mis-
sion dé il gouverueittént âU Seûs juridique »,
60 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
une présidence; du moins consent-il à dire que
Jésus « a la confiance que Pierre sera la réserve
spirituelle et l'autorité légitime de la knischta n.
Pierre sera le portier, il sera le gardien de la
maison; il décidera qui peut franchir la porte,
donc entrer dans le royaume de Dieu, et qui ne
le peut pas : « Jésus a une confiance absolue
dans son jugement ». Les mots : Ceque tu lieras.. .
peuventn'étrequ'unredoublement de l'affirmation
Je te donnerai les clés...^ et s'interpréter : Ce
que tu lieras (à la knischta) sera dans le ciel
reconnu (par Dieu comme appartenant à la
communauté messianique). Délier aura le sens
de détacher, renvoyer, exclure. L'épisode du
centurion Corneille dans les Actes des Apôtres
serait une confirmation de cette vue.
M. Kattenbusch n'est pas sans avoir senti ce
que son interprétation a d'arbitraire. Use protège
contre les hommes du métier, Wellhausen par
exemple, qui souligne que Pierre ne recevra pas
la clé, mais les clés : Pierre ne sera donc pas le
portier, mais le majordome. D'autre part, le même
Wellhausen estime que lier et délier s'entend
des docteurs de la Loi qui décident de ce qui est
permis et de ce qui est défendu : Pierre, pour
interpréter la Loi, aura une autorité dont son
Maître l'investit, il décidera en son nom. Nous
retrouvons avec Wellhausen l'exégèse classique.
En toute hypothèse, le rôle promis à Pierre
est celui d'un protagoniste, puisque ce rôle est
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 61 ,
promis à lui seul, et fait de lui celui à qui appar-
tient la décision. M. Kattenbusch peut écrire :
« Pierre doit avoir réellement possédé une auto-
rité particulière ». Il trouve une confirmation de
cette conclusion dans le texte dé l'épître aux
Corinthiens (I Cor. xv, 5 et suiv.) où saint
Paul rappelle les apparitions du Christ ressus-
cité : pour Paul, « toutes les autorités de VEccle-
sia attestent la résurrection du Christ, et Pierre
lui apparaît là comme la première, cQmme la
plus considérable ».
Revenons à la knischta que Jésus a annoncé
qu'il bâtirait sur Pierre. M. Kattenbusch se
demande « si, à quel moment, et comment »
Jésus a accompli sa promesse et « fait de ses
disciples une IxxXYjaia ». Sans doute, le cercle
de ses disciples en était une déjà, dans un cer-
tain sens, et pourtant c'est à ce cercle de disciples
qu'il promet de bâtir ce qui dans sa pensée
n'est pas encore bâti. Dirons-nous, demande
M. Kattenbusch, qu'il y a renoncé, ou que la
mort l'a surpris? Non, répond-il, et hardiment
il pose en thèse que « la cène fut l'acte de fonda-
tion de l'èxxXYjffta » (p. 168).
M. Kattenbusch, en effet, ne souscrit pas à
l'exégèse qui voudrait voir dans la dernière cène
une « improvisation » inspirée au Maître par
l'émotion du moment, et rien d'une institu-
tion comportant la réitération de l'acte posé :
« Celui, écrit M. Kattenbusch, qui tient pour
62 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
autUfsQtique la parole Je bâtirai mon Eglise,
estimera au moins VFaisemblable que Jésus, au
plus tard dans ce soir (de la dernière cène), a
fait et prescrit quelque chose comme sa der-
nière volonté, quelque chose qui organisait ses
disciples » (p. 169). Notons le relief donné par
M. Kattenbuseh au verbe bien germanique
organisieren. La difficulté est que le Maître
n'en dit rien. Cette difficulté n'arrête pas
M. Kattenbuseh : << Jjes disciples, écrit-il, ont eu
le sentiment du sens de son acte, (le sentiment)
de ce qu'il leur léguait ».
Ces disciples (disons : les apôtres) recevaient
là de Jésus « un legs qui devait les faire se
souvenir de lui et par une contrainte intime les
maintenir fermement en contact avec lui et entre
eux ». Ge pain, ce vin, c'était lui, son corps,
son sang, et son corps donné pour eux, son
sang versé pour eux : ils se partageaient ce pain
après l'avoir rompu, ils buvaient à tour de rôle
à la même coupe. Nous dirions : La communion
était instituée au corps et au sang du Christ,
l'agneau de la nouvelle Paque, mais aussi bien
la communion des apôtres entre eux, l'Église.
Que retiendrons»nous de l'essai de M. Katten-
buseh? Avant tout son plaidoyer pour l'authenti-
cité de la parole oc Sur cette pierre je bâtirai
mon Église ». Il a raison de dire qu'il ne faut
mettre ni trop, ni trop peu, dans le mot Église,
CÂTHOLieiSHE BT PAPAUTÉ. ' 63
tel qu'il est prenoneé là par le Sauveur, et aaas
doute est-ce y mettre trop peu que d'y trouver
seulement une assemblée de culte analogue aux
assemliilées que célébraient les synagogues
juives. Une knisehta fiinsi comprise n'a pas
besoin pour subsister d'être bâtie sur Pierre, et
que Pierre ait les clés du royaume des cieux et
le pouvoir de lier et de délier. Les propiesaes
faites à Pierre ne sont pas proportionnées à
l'humilité de la knisehta. Mais on devine que
M. Kattepbusch construit sa knisehta pour y
abriter la réitération de la cène.
Le lien que veut mettre M. Kattenbuseh entre
l'Église et la cène n'est pas illusoire : il est très
vrai que la fraction du pain a été dès la pre^
mière heure l'acte autour duquel se réunissait la
communauté chrétienne : c'est à la fraction du
pain que l'on se comptait. Elle sera le foyer ep
chaque Eglise, la raison d'être de la hiérarchie
naissante et de l'initiation baptismale : le mot
communion servira à désigner à la fois la partici-
pation au sacrement du corps et du sang du
Christ, et l'appartenance à son Eglise. Saint
Augustin a mis à maintes reprises en une vive
lumière cet aspect de l'eucharistie, « signum
unitatis, vinculum caritatis ». Le pécheur ou
l'hérétique que l'Eglise rejette de son sein sera
un excommunié. Le Sauveur aurait pu dire : « Sur
la fraction du pain je bâtirai mon Eglise ».
Cependant, il ne l'a pas dit, mais il a dit à
64. CATHOLICISME BT PAPAUTÉ./ ;:
Simon : « Tu es Pierre et sur cette pierre (que
tu es) je bâtirai mon Église », donc une knîsehta
où Pierre aura une mission à lui, qu'il n'a évi-
demment pas à la cène, et pas davantage dans
la fraction du pain des premiers jours. On ne se
laissera donc pas persuader par M. Kattenbusch
que Jésus a réalisé à la dernière cène ce qu'il
avait promis à Simon.
L'Église est une communion, oui certes; elle
est une societas fidei et Spiritus sancti in
cordibus, oui encore ; et en même temps elle est
une société visible et organisée, societas externa-
rum j^erum ac rituum; mais elle possède une
autorité qui lie et délie, une autorité (jui décide
chaque fois qu'une décision est nécessaire, et
qui décide au nom du Christ, M. Kattenbusch
l'a bien entrevu, mais il semble en avoir été un
peu effrayé.
(
RÉPONSE A UNE LETTRE
DE F. W. PULLER
Vénéré et cher Monsieur PuUer,
Je suis très reconnaissant à M. Portai de
m'avoir fait tenir votre lettre du 21 juin, et je
suis très touché de tout ce que vous me dites
dans cette lettre de trop bienveillant.
Dans mon article de la Revue des jeunes du
10 avril, vous avez relevé le passage qui con-
cernait votre savant livre The primitive Saints
and the see of Rome, et où je disais que vous
vous étiez appliqué à mettre en tout son relief
le schisme d'Antioche (361-398) et le schisme
d'Acace (484-519), en « ne disant pas un mot du
pape Innocent, du pape Gélestin, du pape Léon ».
Vous me répondez que, si je consulte l'index de
votre livre, je trouverai que vous avez « nommé
chacun de ces trois papes en divers passages ».
Je m'empresse de lé reconnaître.
Il reste vrai cependant que vous avez tiré
CATHOUCISUE £T PAPAUTÉ. 5
66 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
tout l'avantage que vous estimiez être en droit
de tirer du schisme d'Antioche et du schisme
d'Acace, et que vous avez sacrifié celui que nous
sommes en droit de tirer de la période qui va de
l'affaire de saint Jean Ghrysostome en 404 au
concile de Ghalcédoine en 451.
Vous me dites dans votre lettre : « Au sujet
des relations du pape Gélestin avec le concile
d'Éphèse et du pape Léon avec le concile de
Ghalcédoine, vous trouverez quelques mots à la
page XXXII de mon livre. Dans une note mar-
ginale que j'ai ajoutée en 1900, et qui se trouve
sur cette page, j'ai prié mes lecteurs de se référer
à certains écrits du D' Bright, où il discute avec
beaucoup de science les relations de ces deux
papes avec les deux conciles... Il me paraissait
inutile de refaire en 1900 ce que la plume magis-
trale du D' Bright avait fait d'une manière si
satisfaisante en 1896 et 1899 ». G'est à merveille,
mais cela confirme bien que vous avez laissé
de côté deux séries de faits de la première moitié
du v° siècle qui ne revenaient pas à votre thèse,
à savoir que « la communion avec le siège de
Rome n'est pas une condition nécessaire pour
être membre de l'Eglise catholique ».
Pour le pape Innocent, vous me dites que j'ai
spécialement en vue « le recours de saint Jean
Ghrysostome à Rome et l'action du pape Innocent
en réponse à ce recours ». Vous ajoutez : a Eh
bien, si vous voulez avoir la bonté d'examiner la
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 67
page 481 de mon livre, vous trouverez que j'y ai
dit quelques mots au sujet de la lettre que saint
Ghrysostome a adressée aux évêques italiens
qui occupaient des sièges métropolitains, c'est-^à-
dire saint Innocent de Rome, saint Vénère de
Milan et saint Ghromace d'Aquilée... La même
lettre est adressée à tous les trois. Dans cette
lettre, saint Ghrysostome ne fait aucun appel
à un tribunal supérieur ;. il avait déjà fait son
appel à un concile œcuménique, et saint Innocent
dans sa réponse reconnaît que le rassemblement
d'un concile œcuménique devrait être arrangé.
Il a fait de son mieux. Il a écrit aux empereurs,
mais sans résultat. Tous les trois métropolitains
ont assuré saint Ghrysostome qu'il continuait à
être dans leur communion, et tous les trois ont
répudié la validité des actes du pseudo-synode
du Ghêne. Dans l'année 406, saint Ghrysostome
a écrit des lettres de remercîment à Innocent,
Vénère et Ghromace » . Vous concluez : « Ge sont
les raisons qui m'empêchent de regarder cet inci-
dent dans la vie de saint Ghrysostome comme un
argument en faveur des prétentions papales ».
Il est très exact que la question est traitée en
quinze lignes de la page 481 de votre livre : c'est
peut-être peu, et vous ne m'en voudrez pas d'y
revenir.
Que la lettre adressée par saint Jean Ghrysos-
tome au pape Innocent, en 404, soit adressée
(la même) à l'évêque de Milan et à^i'évêque
68 CATHOLICISME ET PAPJkUTÉ.
d'Aquilée, encore que l'on y puisse faire quelque
difficulté, je le concède. Je suis même porté à
conjecturer qu'elle dut être adressée à bien
d'autres métropolitains d'Occident, car, en 406,
en même temps qu'il écrit pour le remercier à
l'évêque de Milan, nous voyons saint Jean
Chysostome remercier l'évêque de Garthage,
l'évêque de Salone, d'autres encore dont nous
ignorons les sièges, comme Maximus et Asellus.
A s'en rapporter à l'usage, ces diverses lettres
durent être transmises de Rome à leurs desti-
nataires.
Que saint Jean Ghrysostome, en écrivant en
Occident, n'ait fait appel à aucun tribunal supé-
rieur, puisqu'il avait fait appel à un concile œcu-
ménique, je le concéderai encore. Il se tourne
vers l'Occident, il demande le secours des
évêques d'Occident. Il demande expresséinent
que l'on tienne pour nulle (provisoirement) la
sentence du concile du Chêne, qui l'a déposé. Le
pape Innocent entre parfaitement dans ses vues.
Il s'agissait en effet de juger si la sentence
prononcée contre saint Jean Ghrysostome par le
concile du Chêne était ou n'était pas inique :
l'évêque de Rome aurait pu en décider, comme
il avait fait jadis, dans des cas analogues, pour
Eustathe de Sébaste, comme il fera plus tard pour
Théodoret de Cyr ou pour Eusèbe de Dorylée :
mais il pouvait aussi s'en remettre à un concile
par lui accepté et où il serait présent ou repré-
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 69
sente, un concile qui réunirait l'Orient et l'Oc-
cident, comme avait été (au moins dans le plan
du pape Jules) le concile de Sardique appelé à
juger saint Athanase, comme devait être le con-
cile d'Italie par lequel un moment saint Léon
songera à faire juger la cause de Flavien. Saint
Jean Ghrysostome a demandé un concile œcu-
ménique : on ira au concile.
Les précédents voulaient que le prince con-
voquât le concile quand il devait être œcuménique,
et y invitât les évêques. Le pape Innocent profite
de la présence de l'empereur Honorius à Rome
pour obtenir de lui qu'il intervienne auprès de
l'empereur Arcadius son frère. Et, en effet,
Honorius écrit à Arcadius que les deux partis,
c'est-à-dire, soit saint Jean Ghrysostome, soit ses
adversaires, ont envoyé des députés à l'évêque
de Rome et aux évêques d'Italie, que l'affaire
requiert un concile commun de l'Orient et de
l'Occident : il presse pour que le concile soit
convoqué.
11 est clair que, si l'on compte sur l'Occident,
Rome est le centre où tout de suite l'affaire de
Gonstantinople aboutit : on en réfère à Rome, on
veut avoir Rome pour soi, et, comme dit Tille-
mont, « ceux qui aimoient l'Eglise avoient recours
à celui qui estoit chargé de veiller sur tout le
troupeau de Jésus Ghrist et de procurer partout
l'observation de la discipline et des saints
canons ». C'est le pape Innocent qui, l'Occident
70 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
étant unanime avec lui, prend la cause de saint
Jean Ghrysostome en mains.
C'est lui qui écrit au clergé de Gonstantinople
resté fidèle à l'évêque exilé, etlui exprime l'espoir
qu'il met dans le concile projeté. Dans cette
même lettre, il se déclare absolument pour
saint Jean Ghrysostome, et ne veut reconnaître
aucun des évêques intrus par ses ennemis. Il
agit à Ravenne auprès d'Honorius, Ghromace
d'Aquilée en fait autant, de même les évêques
d'Italie réunis en concile (a Rome?) : ils sont
d'accord pour demander un concile œcuménique
à réunir à Thessalonique. Honorius prie le pape
Innocent d'envoyer cinq évêques accompagnés
de deux prêtres et d'un diacre de Rome, en
légation à Gonstantinople, pour porter la lettre
par laquelle l'empereur presse Arcadius de
réunir le concile à Thessalonique. On sait quel
accueil brutal Arcadius réservait à ces légats.
Evidemment, le pape Innocent n'a rien obtenu
de l'empereur Arcadius, mais il a pris fait et
cause pour saint Jean Ghrysostome, sans attendre
le concile œcuménique qui devait prononcer, et,
quand saint Jean Ghrysostome a été mort j il a mis
cette condition à la communion de Rome avec
Gonstantinople, Antioche, Alexandrie, que le
nom de l'évêque déposé et exilé serait replacé
dans les diptyques, ce qui était exiger le désaveu
du concile du Ghêne. C'est l'acte le plus signi-
ficatif de la courageuse et si honorable conduite
CATHOLICISME ET PAPAUTE. 71
du pape Innocent : il tient tête à l'empereur de
Gonstàntinople, il tient tête aux trois plus grands
sièges d'Orient, et ceux-ci finissent par céder
à son intransigeance, loin de professer qu'ils
n'ont pas besoin de sa communion pour appar-
tenir à l'Église catholique.
Vous me dites que vous ne voyez pas là un
argument en faveur des prétentions papales.
On peut, j'espère, n'être pas de voire avis, et
voir là au contraire un fait aussi capital que
celui du recours à Rome de saint Athanase qui a
donné occasion au concile de Sardique : le recours
de saint Athanase et le recours de saint Jean
Ghrysostome sont les deux faits qui ont accrédité
la maxime attestée à Gonstàntinople par Socrate
et Sozomène, vers 440, qu'il n'y a pas de sentence
définitive sans l'assentiment dël'évêque de Rome,
maxime qui semble être l'exacte confirmation du
Causa finita est prononcé à propos du pape
Innocent par saint Augustin, en 417.
Je n'ai pas sous les yeux le livre de M. Bright,
mais j'ai celui M. William Ernest Beet, The rise
of the papacy (1910), et j'y trouve sur le pape
Innocent une page de conclusion d'un sens histo-
rique qui n'est pas sans justesse : v This great
prelate, dit-il, was something more than a
bishop, something more even than Patriarch of
the West, and it seems therefore both désirable
and not incorrect to speak of the papacy, in its
earlier form, as beginning with Mm » (p. 60).
72 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
Vous voyez coiiamé les faits qui vous semblent
incapables de justifier ce que vous appelez les
prétentions papales sont ceux où M, Beet, qui
certes n'est pas un catholique romain, découvre
la première manifestation de la papauté. Et je
crois qu'un historien sans parti pris estimera que
la papauté (je n'attache pas d'importance au mot,
mais à la chose) n'a pas attendu le pape Innocent
pour se faire sentir dans l'histoire de l'Église.
A mon tour je vous prie d'excuser la longueur
de cette lettre, et vous demande de croire au prix
que j'attache à la science de votre livre The pri-
mitive saints and the see of Rome, tout en
regrettant que vous ayez fait parmi les « primi-
tive saints » plus de place au schismatique
Acace qu'à saint Jean Ghrysostome.
Veuillez trouver ici mes respectueux et bien
sympathiques hommages.
Paris, 5 Juillet 1923.
RÉPONSE A M, GLUBOKOVSKY
En réponse à mon article paru en français dans
la Revue des jeunes du 10 avril 1923, et en
anglais dans les Blackfriars de juin suivant,
M. le prof. Glubokovsky a donné à la revue londo-
nienne The Christian East de novembre 1923 un
article d'une noble tenue intitulé « Papal Rom and
orthodox East ». Je ne pouvais avoir un contra-
dicteur plus compétent et plus distingué que
l'ancien professeur de l'académie ecclésiastique
dePétrograd, aujourd'hui professeur à l'académie
ecclésiastique de Sofia, et bien connu parmi nous
historiens pour son Saint Théodoret évêque de
Cyr (1890), le meilleur livre que l'on ait sur ce
beau sujet, au jugement de M. Harnack.
M. Glubokovsky m'accorde que je m'établis
sur le terrain des faits, et ce terrain nous est
heureusement commun. Nous abordons les faits
avec la même méthode. Mais il nous arrive de ne
pas en donner toujours la même interprétation.
M. Glubokovsky ne sera pas surpris que je
1. Paru dans The Christian East, février 1924.
74 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
défende l'interprétation que j'ai proposée, et dont
je voudrais lui montrer qu'elle est légitime,
sans y mêler de controverses confessionnelles.
En se séparant du Siège de Rome, en 1054,
l'Eglise d'Orient s'est-elle trouvée, en ce qui con-
cerne l'autorité de saint Pierre considérée comme
se perpétuant dans l'Eglise de Rome, aban-
donner quelque chose qui aurait été antérieure-
ment et un temps de sa doctrine? A cette question
Bishop Gore répond : Non, le catholicisme grec
n'a pas professé une telle doctrine. Et M. Glubo-
kosvky rappelle que j'ai répondu : Oui, le catho-
licisme grec a répudié ce qu'il acceptait au temps
du concile de Ghalcédoine. M. Glubokovsky,
quant à lui, abonde dans le sens de Bishop Gore.
Tenons-nous à la question ainsi posée.
I
M. Glubokovsky me prête cette présupposition
que « la papauté dans sa présente forme est
entirely îdentical avec celle de l'époque des sept
conciles œcuméniques ». J'ai à peine besoin de
dire que cette affirmation massive n'est pas de
mon cru. L'identité de la papauté à travers les
siècles, comme de toute la constitution divine de
l'Eglise, doit être entendue en fonction de la loi
du développement, d'abord. Et il faut en outre
soigneusement distinguer ce qui appartient à la
CATHOLICISME BT PAPAUTÉ. 75
constitution divine de l'Église de tout, ce qui est
institution ecclésiastique contingente, comme les
provinces, les métropoles, les patriarcats, les
concordats, le sacré collège, etc.
M. Glubokovsky a raison de dire cependant que
nous nous appliquons à mettre en lumière « les
divers faits historiques qui affirment la primauté
unique et exclusive du pape »,et que de ces faits
le premier est que « les orientaux ont plus d'une
fois appelé au siège romain où pareils appels
étaient juridiquement examinés et où des déci-
sions d'autorité étaient promulguées à leur sujet».
M. Glubokovsky a raison encore de dire que
nous inférons d'appels de cette espèce que l'évê-
que de Rome était censé posséder, et ne doutait
pas de posséder, une compétence qui s'étendait
a toute la catholicité et qui se rattachait à une
prérogative héritée de l'apôtre Pierre.
Le second fait serait « la primauté dogmatique
des papes, pour autant que tous les conciles œcu-
méniques étaient des expressions de la volonté
papale et recevaient des papes seuls leur pou-
voir universel obligatoire dans l'Église». Je tiens
à faire remarquer à M. Glubokovsky que je ne
me suis pas arrêté à considérer ce second fait.
II
Les appels ont fait l'objet d'une étude du
P. Bernardakis (1905) que j'ai citée, parce qu'elle
76 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ,
est la plus complète que nous ayons, encore
qu'elle pourrait être reprise et approfondie. Il
conviendrait, de plus, de distinguer avec soin les
appels qui s'adressent à l'Occident des appels
qui s'adressent au Siège apostolique en tant que
tel. Mais pour tant qu'on insiste sur cette distinc-
tion, il reste que, au v^ siècle et jusqu'à l'époque
de Photius, des appels sont adressés d'Orient à
l'évêque de Rome qui est saisi de jugements
prononcés en Orient pour qu'il les revise. J'ai cité
l'exemple caractérisé de l'appel formé contre les
sentences du brigandage d'Ephèse de 449 par
l'évêque de Gonstantinople Flavien, par l'évêque
de Gyr Théodoret, . par l'évêque de Dorylée
Eusèbe. J'aurais pu citer un exemple tout aussi
caractérisé, celui de l'évêque d'Ephèse Iddua, en
437, accusé devant l'évêque de Gonstantinople et
son concile, jugé et innocenté par ce tribunal,
poursuivi alors à Rome par ses accusateurs, et le
pape Xystus confirmant la sentence de Gonstan-
tinople.
M. Glubokovsky reconnaît que ces appels sont
des faits incontestables, mais il s'applique à leur
enlever toute valeur canonique. Les appelants
sont des « individus qui ont subi de graves
dommages et qui cherchent un rétablissement de
leurs droits » ; ils appellent à Rome « parce qu'ils
n'ont pas d'autre moyen valable, les autorités de
l'Orient se trouvant être, dans l'occasion, leurs
ennemis et leurs persécuteurs »; ils exaltent
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 77
l'autorité du pape « pour assurer à leur profit
spécial plus d'importance au verdict du pape ».
Concédons! Mais quand M. Glubokovsky con-
clut: Ges appels « n'étaient ni constitutionnels, ni
réguliers, mais extraordinaires et sporadiques »,
nous avons le droit de lui dire : Sporadic, oui ;
extraordinary, oui encore, car enfin bien des
orientaux qui auraient pu appeler à Rome des
sentences injustes de l'Orient, s'en sont abstenus ;
mais neither constitutional nor regàlar, non.
Sans doute, aucun canon oriental ne prévoit
ces appels, à l'exception des canons de Sardique
qui ne sont ni œcuméniques, ni orientaux, encore
que saint Athanase y ait collaboré. Mais aucun
canon oriental, jusqu'à Photius, n'a interdit ces
appels.
Nous avons la preuve que, à Gonstantinople,
autour de 440, on les tenait pour réguliers,
puisque, à propos du recours à Rome de saint
Athanase déposé par les ariens, les deux histo-
riens grecs, tous deux hommes de loi, tous deux
de Gonstantinople, Socrate et Sozomène, ce
dernier bien en cour auprès de l'empereur
Théodose II, déclarent que c'est une loi ecclé-
siastique que soit invalide tout ce qui est prononcé
contre la volonté de l'évéque de Rome : My)
Ssîv 'jcapà "^stii^ti^ Tou siciaxoTûou 'Pwjayjç xavovi^ew
Taç kv.yCKridai; *. Si, comme le suppose M. Har-
1. SOCHAT. H. E, II, 17. Voyez mou siège apostolique, p. 411-416.
Voyez dans B. Lsib, Rome, Kiev et Byzance à la fin du xi« siècle (1924),
78 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. >
nack*, cette règle a été formulée par le pape
Jules, combien il est remarquable que, cent ans
plus tard, elle soit mentionnée comme un canon
organique de l'Église par les deux historiens
grecs de l'Église du temps de Théodose II!
Veut-on une autre preuve PEustathe de Sébaste,
déposé en 357 par un obscur concile de Mélitène,
déposé une seconde fois avec plus d'éclat par les
ariens réunis à Gonstantinople en 360 autour de
Constance II, vient à Rome en 366, se fait rétablir
par le pape Libère, et revient en Orient avec la
lettre qui le rétablit : saint Basile, de qui on tient
le fait [Epist. cclxiit, 3), ne trouve rien là que
de régulier.
M. Glubokovsky insiste. Si, dit-il, les sentences
d'appel prononcées à Rome avaient été souve-
raines, définitives, « il n'y aurait pas eu lieu soit
de les reviser, soit de les approuver » . Or dans
le cas de Théodoret, nous voyons le pape Léon
relever l'évêque de Gyr de la sentence fulminée
contre lui par le brigandage d'Éphèse, puis,
« toute l'affaire fut soumise à un contrexamen
ce qui est cité du Nomocanon de saint Métliode, et notamment ceci :
« A cause de sa primauté, le pontife de Rome n'est pas obligé de
se rendre à tous les saints conciles oecuméniques, mais sans sa
participation, manifestée par l'envoi de quelques-uns de ses subor-
donnés, tout concile œcuménique est inexistant, et c'est lui-même
qui ratifie ce qui a été décidé dans le concile. S'il y a quelqu'un
qui paraisse opposé à ce que nous disons, qu'il veuille bien exa-
miner ce que le même très saint pape Léon écrivait à Marcien
et à Pulcbérie de pieuse mémoire, ce qu'il écrivait aussi à l'évêque
de Gonstantinople déjà nommé Anatole, et il sera convaincu de
la vérité de ces choses >. Op. cit. p. 39i
1. Dogmengesehichte, t. II*, p. 108,
GATHOLIâISME ET PAPAUTÉ. 79
par le concile de Ghalcédoine, qui, seul, rétablit
Théodoret ».
L'argument développé là n'est pas nouveau,
car déjà Bossuet tire parti de cette sorte de revi-
sion par le concile d'une sentence prononcée par
le pape {Gallia orthodoxa, III, 18). En fait, les
magistrats, qui d'ordre de l'empereur forment le
bureau du concile, à Ghalcédoine, invitent Théo-
doret à prendre séance, parce que, déclarent-
ils, « le très saint archiévêque Léon lui a rendu la
dignité épiscopale et que le très divin et religieux
empereur a ordonné qu'il prenne part au concile ».
Donc Théodoret est en règle. Mais son entrée
soulève un tumulte. Les évèques de la faction de
Dioscore (Egypte, Illyricum, Palestine) deman-
dent son expulsion, sous prétexte qu'il est favo-
rable à Nestorius.LesévêquesdePont, de Thrace,
d'Asie, manifestent en sens contraire et crient :
« A la porte Dioscore l'assassin! » Le bureau
supplie les évêques de s'apaiser, et pour concilier
les deux factions décide que Théodoret prendra
place au banc des accusateurs, et le calme revient.
En somme, le bureau consent à ce que le cas de
Théodoret soit réservé, non qu'il soit douteux,
mais parce qu'il y a contre Théodoret une faction
qui ne désarme pas. A la VHP session, Théodoret
est requis d'anathématiser Nestorius, et il s'exé-
cute. Le bureau prononce alors : « Tout doute
est levé au sujet du très théophile Théodoret,
puisqu'il a anathématisé devant nous Nestorius,
80 CATHOLICISME ET? PAPAUTÉ. ^ r
et qu'il a été reconnu par le très théophile et très
saint archiévêque Léon de la vieille Rome... Il ne
reste plus à votre piété qu'à prononcer que Théo-
doret doit recouvrer son Église, ainsi que le très
saint archiévêque Léon a jugé ». Les acclamations
éclatent qui approuvent la proposition du bureau :
« Théodoret est digne de son siège ! Nombreuses
années à l'archiévêque Léon ! Après Dieu, Léon a
jugé ! » Peutron dire après cela que « The whole
affair was submitted for re-examination at the
council of ChalcedoUf ivhich^ alone, reinstated
Théodoret »? C'est une exagération manifeste.
On a accordé à une faction du concile, la faction
qui était solidaire du brigandage d'Éphèse, que
Théodoret rendrait raison de son orthodoxie :
les légats du pape n'ont pas fait difficulté d'ac-
corder cette satisfaction à la minorité du concile,
nous ne pouvons être plus difficiles qu'eux.
M. Glubokovsky poursuit : « L'Église est
reconnaissante aux papes des services historiques
qu'ils ont rendus au christianisme, mais faire
de ces services un droit de domination dogma-
tique sur toute l'Église serait une usurpation...
Si P. Batiffol s'en rapporte au style trop déférent,
et même servile, des appels de l'Orient à Rome,
on doit distinguer entre ce qui est convention et ce
qui est dogme, et ne pas mettre le premier élément
au rang du second ». M. Glubokovsky a raison de
dire que dans telles lettres d'appel d'orientaux à
Rome il y a des termes d'une déférence sujette à
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 81
caution. Bishop Gore, dans l'article qu'il a écrit
sur saint Léon pour le Dictionary of Christian
biography, dit que Théodoret met très en relief
la primauté du Siège de Rome, mais qu'il ne
fonde pas cette primauté sur les prérogatives
« (jui servent à saint Léon à fonder saiprimacy ».
C'est une observation de valeur. Je ne pense
pas que nous devions tirer parti, nous catholiques
romains, des déclarations éloquentes, mais ina-
déquates, de lettres comme celles de Théodoret,
de Flavien, d'Eusèbe de Dorylée, pas plus que
des déclarations de Nestorius exaltant le pape
saint Léon, u le Siège de saint Pierre et l'hon-
neur apostolique », dans son Livre d'Héraclide^.
Pareilles déclarations sont intéressées. Ce qui
compte, la seule chose qui compte, c'est l'appel.
Car l'appel suppose à Rome une compétence, et,
supposé que les orientaux ne se fassent pas de
cette potestas une idée aussi nette que les occi-
dentaux, que les Romains, encore est-il qu'ils
y recourent et contre qui? contre des conciles
d'Orient comme le brigandage d'Ephèse (ce nom
de c< brigandage » lui a été donné par saint Léon
et lui est resté), c'est-à-dire un concile qui avait
tous les dehors d'un concile général et qui avait
pour lui l'empereur.
Nous pouvons donc conclure que M. Glubokov-
1. F. NXU, Le livre d'Héraclide (1910), p. 302. Voyez mon étude
« Les recours à Rome en Orient avant le concile de Chalcédoine »
Reme d'histoire eccl. 1925, p. 5-32. , :^^.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 6
82 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
sky n'est pas fondé à écrire : « Ainsi nous arri-
vons à cette conclusion que les appels des orien-
taux à Rome ne signifient pas que les orientaux
acceptaient la primacy des papes » .
m
Venons au fait du concile de Ghalcédoine.
« Il est impossible de supposer que les papes
dominaient les conciles dont l'autorité était plus
haute que celle des papes, ceux-ci étant tenus à
une manifeste subordination ». En parlant ainsi,
M. Glubokovsky ne tient pas compte de ce fait,
d'abord, que dans un concile comme celui de
Ghalcédoine, l'évéque de Rome représenté par ses
légats comptait au moins pour tout l'Occident,
c'est-à-dire pour la moitié de la catholicité uni-
verselle. On ne peut pas parler de subordination
de l'Occident envers l'Orient et prétendre que
le concile était en fait plus que le pape.
Donc, dès là que le concile prenait une résolu-
tion sans le pape ou contre le pape, il cessait d'être
l'accord de l'Orient et de l'Occident, pour n'être
plus œcuménique qu'au sens où olxouf^ivyj désigne
les Etats du basileus ^.
1. On le vit bien après Ghalcédoine. Le pape ayant différé jus-
qu'au printemps de 453 d'approuver les décisions du concile, les
orientaux qui auraient voulu faire écliec au concile se prévalaient
de l'abstention du pape : « Infirma vel dubia videri volunt statuta
concilii, quae nulla sunt consensus mei sententia roboi'ata », écrit
saint Léon, 21 mars 453, Epistul. GXVIL 1.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 83
Un autre fait a été négligé par M. Glubokovsky,
qui est que le concile de Ghalcédoine a accepté
que l'évêque de Rome s'affirme la tête de toutes
les Églises : « Nous étions là environ cinq cents,
que tu conduisais comme là tête conduit les mem-
bres », dira au pape saint Léon la lettre synodale
du concile. Voilà une subordination catégorique,
consentie, de la part ces évêques orientaux envers
l'évêque de Rome. Et cette fois les évêques ne sont
pas des persécutés, mais bien le catholicisme grec
assemblé, unanime, maître de ses démarches et
de ses déclarations. Quant à la leçon qui s'en
dégage, elle a été tirée par V. Soloviev, dans son
livre ardent, La Russie et l'Église universelle^
où il montre comment le concile de Ghalcé-
doine s'est incliné devant les revendications de
saint Léon, loin de s'élever contre elles i. Si
saint Léon a été un usurpateur, écrit Soloviev,
il faut accuser le concile de Ghalcédoine de préva-
rication.
M. Glubokovsky me soupçonne d'avoir « un
grand embarras avec le 28° canon du concile de
Ghalcédoine ». Je puis le rassurer pleinement.
G'est en effet ine prêter une pensée qui n'est pas
la mienne, que de dire que je tiens le 28'' canon de
Ghalcédoine « comme ayant indubitablement la
valeur d'un canon de concile œcuménique ». Dès
l'instant que le pape Léon repousse ce canon,
1. V. Soloviev, La Russie et l'iigUse universelle, éd. franc; 1922,
p. 181-202. . . .
84 CATHOLICISME ET PAPAjUTE.
comment pourrait-on lui donner cette valeur?
Mais pourquoi le pape Léon le répousse-t-il ?
Les légats de saint Léon ont dans leurs instruc-
tions de ne pas laisser violer la volonté des saints
pères et amoindrir la personne du pape, et de ne
pas tolérer que quelque évêque, fort de la prépo-
tence de sa ville, essaie d'usurper. La volonté
des saints pères est représentée par le 6* canon
de Nicée, dans lequel on croit à Rome trouver
consacrée une hiérarchie des sièges, qui fait de
Rome le premier, d'Alexandrie le second, d'An-
tioche le troisième. Au fond, la vraie raison de
saint Léon est qu'il se rend clairement compte
que Gonstantinople tend à créer à son propre
profit en Orient une papauté, et une papauté
d'essence politique.
« Quel n'eût pas été son aveuglement, s'il n'y
avait pas discerné un grand danger pour l'unité
de l'Eglise et pour la dignité de l'épiscopat grec'.
A l'antique conception de la fraternité chrétienne
présidée par l'Eglise apostolique de Rome, on
était en voie d'en substituer une autre, celle de
l'Eglise dirigée de la capitale par un prélat, que
sa situation, souvent aussi son origine et ses
tendances d'esprit, plaçaient sous l'influence im-
médiate de la cour et du gouvernement? Et puis,
allait-on pousser plus loin l'application de ce
principe quel'évêque delà résidence impériale a
droit à une juridiction souveraine? Transportée en
Italie, cette notion de droit ecclésiastique n'allait
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 85
à rien moins qu'à déposséder le siège de saint
Pierre au profit del'évêque de Ravenne^ ».
L'évéque de Gonstanlinople et sa faction
avaient escompté que le 28® canon passerait sans
protestation. Mais le concile de Ghalcédoine
demande au pape Léon de confirmer le 28® canon,
spécialement. Pourquoi ? Parce que dans VActio
XVI du concile, ledit canon ayant été accepté par
tous les évêques préseïits et aussi bien par le bu-
reau qui représente l'empereur, le légat liiucentiiis
a demandé que ledit canon fût repoussé, ou que
l'on prit acte de sa protestation, et que nous
sachions, dit-il, « ce que nous devons en référer
à l'apostolique et précellent évêque de toute
l'Église, afin que lui-même puisse juger de
l'offense faite à son siège et de la transgression
des (anciens) canons ». Le premier mouvement
du concile fut de ne rien entendre ; puis il se
ravisa ; et la lettre synodale fut adressée à Rome,
qui demandait au pape Léon' de confirmer et les
sentences doctrinales et le canon 28. Le pape
Léon refusa le canon. Dans ces conditions, je ne
comprends pas M. Glubokovsky écrivant : « Nous
préférons rester d'accord avec le concile œcu-
ménique, dont la validité n'est pas contestée par
Rome même ». Rester d'accord avec le concile,
c'est solliciter et recevoir le jugement de Rome
sur le canon que le concile a soumis à Rome,
et que Rome à rejeté.
1. DucHESîtB, Hist. anc. de l'Église, X. III, p. 46^.
86 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
IV
M. Glubokovsky dans le paragraphe qu'il
consacre à la question de savoir quelle primauté
on trouve dévolue à saint Pierre dans le Nouveau
Testament, résume sa pensée dans cet apho-
risme : « A mon jugement exégétique il n'y a
pas de justification biblique pour les revendi-
cations papales à l'époque des conciles œcumé-
niques » . J'entends queles papal daims du temps
des conciles œcuméniques n'ont pas de justifi-
cation biblique.
Nous reconnaissons là l'exégèse négative que
nous retrouvons embusquée dans tous les textes
scripturaires qui peuvent avoir une portée dog-
matique ou confessionnelle : si ces textes sont
authentiques, ils ne prouvent rien, mais s'ils
prouvent quelque chose, ils ne sont pas authen-
tiques! On peut échapper à ce dilemme en
tâchant de ne faire dire aux mots que ce qu'ils
disent, comme s'applique à le pratiquer, par
exemple, l'article « Simon Peter » de Ghase
dans le Dictionary of the Bible de Hastings.
L'historien a aussi le droit de dire que l'his-
toire subséquente éclaire la signification de
textes qui sans elle resteraient obscurs.
Le cardinal Newman a écrit que des paroles
du Sauveur comme « Sur celte pierre je bâtirai
mon Eglise », sont des prophéties et des pro-
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 87
messes, « promesses qui étaient tenues par celui
qui les avait faites, prophéties qui devaient
être accomplies selon le besoin et interprétées
par les événements, par l'histoire », et par l'his-
toire Newman entend, non pas l'histoire aposto-
lique, celle qui est racontée dans les Actes des
Apôtres, mais l'histoire ecclésiastique, celle duiv*
etduv* siècles 1.
Voilà ce qu'un historien peut et doit dire, en
laissant aux exégètes l'exégèse. Quant au texte
I Cor. I, 12, je persiste à le croire beaucoup plus
significatif que ne le croit M. Glubokovsky. Si
besoin était, je le renverrais au travail du
P, Roirôn, « Saint Paul témoin de la primauté
de Pierre », Recherches de science religieuse,
1913, p. 489-531.
V
Le dernier paragraphe de M. Glubokovsky n'a
plus guère trait à des considérations d'histoire,
et rentre, un peu trop pour mon goût, dans la
manière polémique. Je me dois cependant de ré-
pondre à un reproche qui m'est adressé. J'ai dit,
en effet, que la prérogative propre au pape ne
supprime pas la prérogative etVutilité du concile
œcuménique.
1. Netvman, An Esscry on ihe development, éd., 4878, p. 156.
88 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
Les théologiens catholiques, en effet, ensei-
gnent que le pape ne peut toucher à la consti-
tution divine de l'Église. Le pape ne peut donc
supprimer Tépiscopat, qui appartient à cette
constitution divine, ni supprimer la fonction de cet
épiscopat J72 magisterio etregimine ecclesiastico.
M. Glubokovsky semble croire que les con-
ciles œcuméniques appartiennent à la consti-
tution divine de l'Église : ils n'appartiennent
qu'au Kirchenrecht. Ils . ne sont pas, en effet,
une institution du Christ ou des apôtres. Leur
magisterium est le magisterium collectif de
l'épiscopat universel, en y comprenant l'évêque
de Rome. L'assistance du saint Esprit qu'ils
revendiquent est celle qui est promise à cet
épiscopat universel. Les conciles œcuméniques
ne sont jamais absolument nécessaires.
Mais, poursuit M. Glubokovsky, supposé le
pape infaillible, le concile œcuménique (sans le
pape) n'a pas « the décisive voice in church
affairs » . Nous l'accordons sans difficulté. Donc
conclut M. Glubokovsky, « les conciles, et plei-
nement les conciles œcuméniques entant que tels,
n'ont plus de place dans le système présent de la
papauté ». M. Glubokovsky ne conçoit le concile
que souverain, nous le concevons coordonné,
coordonné àl'autorité du pape en l'absence duquel
il ne s'assemble pas.
Alors le concile n'est pas libre ! Non, il n*est
pas libre, si le pape s'est prononcé ex cathedra
catholicisme] ET PAPAUTÉ, 89
sur la question soumise au concile, mais l'hypo-
thèse est vaine. En réalité, le concile est consulté
sur une question qui n'a pas été définie ex ca-
thedra, il l'examine, il la discute : on a vu au
concile de Trente la question de la souveraineté
du pape, mise à l'ordre du jour par les légats,
et retirée, parce que le concile ne s'accordait
pas sur la formule proposée*. On peut voir dans
les procès-verbaux du concile du Vatican quels
amendements les définitions ont subis avant
d'être fixées.
Cette coordination a toujours été la règle,
même au temps où saint Léon faisait précéder
jAe concile de Ghalcédoine de sa lettre à Flavien.
Si M. Glubokovsky veut bien consulter la Col-
. lectio Lacensis, t. Vil (1890), p. 286 et 397,
il verra que, au concile du Vatican, on a discuté
la question de savoir quelle serait la condition
des futurs conciles œcuméniques, et fortement
affirmé soit l'utilité, soit la liberté, qu'on leur
reconnaît.
Un dernier mot : M. Glubokovsky oppose, en
terminant, ce qu'il appelle a the ascending pro-
gress » du catholicisme romain à ce qu'il appelle
« the order ofihe œcumenical councils », et il
déclare que la papauté, « avec sa suprématie
qui absorbe tout, restera un insurmontable obs-
tacle à notre réunion avec le catholicisme romain » .
1. G. Constant, La légation du card. Morone frès l'Empereur et le
conciU de Trente (1922), p. 479.
90 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
Non, il n'est pas d'obstacle insnrmoïitable à
la réalisation des desseins de Dieu sur son
Eglise. Le jour où M. Glubokovsky découvri-
rait, comme Soloviev, que la potéstas papale
rentre dans l'ordre des conciles œcuméniques,
ainsi qu'en témoigne le concile de Ghalcédoine,
la réunion du catholicisme oriental au catholi-
cisme romain serait bien près de s'accomplir,
pour le bénéfice de l'un et de l'autre.
REPONSE A BISHOP GORE*
Si je croyais que l'échange de vues qui s'ins-
titue ici entre Bishop Gore^ et moi est un simple
exercice de controverse et qui ne peut aboutir à
aucune issue, comme Bishop Gore en exprime
la crainte, je me récuserais d'y prendre part.
Mais je crois, au contraire, que les plus vieux
sujets de controverse peuvent être revisés et
tirés au clair dans bien des cas, à condition de
les aborder historiquement, quand faire se peut.
.Bishop Gore nous fait l'honneur de voir en
France une école historique qui a usé de cette
méthode. Nous avons eu Duchesne, en effet,
mais l'Angleterre a eu Lightfoot : ensemble ils
professaient que le passé ne se comprend que
dans le passé et par le passé. C'est à ce cri-
térium que l'on distingue l'historien du contro-
versiste.
1. Le présent article a été inséré dans The Christian East de dé-
cembre 1924.
2. La réplique de Bishop Gore à mon article de la Revue des
Jeunes. an 10 avril 1923, a paru dans The Christian East de juin 1924,
sous le titre de « Papal Rome and the orthodox East ».
92 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. \
Il suffirait de rappeler la défense poursuivie
viotorieusement par Lightfoot de l'authenticité
des épîtres ignatiennes, et du même coup de la
primitivité de l'épiscopat monarchique, pour si-
gnaler un des services de premier ordre rendus
par l'histoire, et pour montrer comment toutes
les controverses ne sont pas sans issue.
Dans son édition de saint Clément de Rome
(1890), Lightfoot consacre une dissertation à la
primauté de saint Pierre dans le Nouveau Testa-
ment. « Le sujet que je me propose de discuter,
écrit-il, est essentiellement mêlé à la controverse,
mais j'espère le traiter aussi peu que possible
comme une matière de controverse... Je m'y
attacherai, dans la limite du possible, comme
à une étude historique* ». Quiconque voudra
prendre la peine de lire la dissertation, se con-
vaincra que Lightfoot découvre à saint Pierre dans
les textes évangéliques une primauté.
Il n'est pas impossible que Lightfoot lui-même
ait passé par une sorte de crescendo de clair-
voyance. Dans son commentaire de l'épitrè aux
Romains de saint Ignace (1885), il a tendance à
minimiser le témoignage rendu par l'évêque d'An-
tioche à l'Église romaine. Dans son commentaire
de l'épitrè de saint Clément, au contraire, le
1. J. B. Lightfoot, s. Clément of Rome, 1890, t. II, p. 48i : « The
subjeet whicli I purpose discussing in tlie présent appendix is
essentially mixed up with controversy; but I bope to treat it as
little controversially as possible... I sliail pursue it, as far as pos»
sible, as a bistorical study>.
CATHOLICISME ET PAPAUTE. 93
jugement qu'il porte sur la conscience que Home
a dès lors de sa primauté est un jugement bien
remarquable. « Le langage de cette épître, écrit-
il, nous permet de comprendre le secret de la
croissance de la domination papale ». Lightfoot
ne veut pas que l'auteur de l'épître réclame en
son nom «l'autorité papale » ; cette autorité est
celle de l'Église de Rome, non de l'évêque de
Rome; le nom et la personnalité de Clément
ne sont pas à part de l'Église dont il est le porte-
parole. Transeat. « Il est d'autant plus instructif
d'observer le ton pressant presque impérieux que
les Romains prennent en s'adressant à leurs frères
de Gorinthe, dans ces dernières années du premier
siècle... Il peut sembler étrange de décrire cette,
noble remontrance comme le premier pas vers la
domination papale. Et cependant, il n'y a pas de
doute, c'est bien cela » . Lightfoot souligne la diffé-
rence que Ton saisit entre l'attitude de Clément à
la fin du premier siècle et celle de Victor à la fin du
second, mais il les rapproche avec raison. Il y a
loin de là aux revendications d'un Grégoire VII,
d'un Innocent III, d'un Boniface VIII, ou seule-
ment de saint Léon, mais c'est tout de même
un pas décisif. Une continuité se dessine entre le
pape Clément, le pape Victor, saint Léon, la pre-
mière affirmation de cette continuité se rencon-
trant dans cette épître romaine du dernier fi^ece/î-
nium dupremier siècle. Laprimauté ecclésiastique
de Rome était, non pas en germe, mais en acte :
94 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
Rome parlait « comme si elle avait un droit à
estimer que les conseils de paix qu'elle donnait
(aux Corinthiens) étaient dictés par le saint
Esprit*».
Le fait historique est là rais en pleine lumière et
Lightfoot ne craint pas d'en montrer la portée. Tout
au plus pourrait-on lui reprocher d'en avoir négligé
les antécédents et d'avoir trop vite présupposé
que la primauté de l'Eglise romaine était inévi-
table, dès là que l'Église i^pmaine était l'Eglise
de la métropole du monde. Nous ne voyons pas,
en effet, que pareille primauté se soit établie
dans le judaïsme de la Diaspora^ ou dans le mar-
\.ibid. t. I, p. 69-70 :« Tlae language of this letter, thougli itself
inconsistent ^vith tlie possession ot papal authority inthe person
of tlie writer, enables us to understand tlie secret of the gro
wtli of papal domination. It does not proceed from the bishop of
Rome, but from the cburch of Rome- Tlie name ànd personality
of Clément are absorbed in tbe cburch of which he is the spo-
Icesman. — Tbis being so, it is the more instructive to observe
the urgent and almost imperioustone which the Romans adopt in
addressing their Gorinthians brethen during the closing years of
the first century... It may perhaps seem Etrange to describe
this noble remonstrance as the first step towards papal domina-
tion. And yet undoubted 1 y this is the case. There is ail the dif-
férence in the world between the attitude of Rome towards other
churches at the close of the first century, when the Romans as
a community remonstrate on terms of equality with the Gorinthians
on their irregularities, strong only in the righteousness of their
cause, and feeling, as they had a right to feel, that thèse counsels
of peace were the dicîation of the Holy Spirit, and its attitude at
the close of the second century, when Victor the bishop excom-
municates the Churches of Asia Minor for clinging to a usage in
regard to the célébration of Easter which had been handed down
to them from the Apostles, and thus foments instead of healing
dissensions. Even this second stage bas carried the power of
Rome only a very small step in advance towards the assumptions
of a Hildebrand or an Innocent or a Boniface, or even of a Léo :
but It is nevertheless a decided step... It was originally a primacy,
not of the episcopate, but of the church (of Rome) ».
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. - 95
cionisme, ou dans le mithraisme. A cela près,
la sollicitude et l'autorité de l'Église romaine
se dégagent admirablement de l'examen de la
Prima démentis parLightfoot, et aussi bien (peu
après Lightfoot) par R. Sohm, dans le tome I*"^
(1892) de son Kirchenrecht^. Veut-on voir, par
contraste, ce que la controverse, la mieux infor^
mée, est capable de faire dans la même occur-
rence ? Que l'on ouvre tel livre qui veut nous dire
ce que les saints primitifs ont pensé dujsiège de
Rome, et que l'on y cherche quelle place y est
faite à la Prima démentis, on aura la surprise de
constater que l'épître est traitée par prétérition.
Ces exemples suffiraient, s'il était besoin, à
justifier le parti pris de Lightfoot et de Duchesne
de ne considérer ces vieilles questions que dans
la lumière de l'histoire. « The points in con-
troversy are so old I » écrit Bishop Gore. C'est
précisément pour cette raison qu'il nous plaît
de les examiner avec une méthode plus neuve.
*
Bishop Gore a pris soin de noter qu'il y a « par-
mi quelques écrivains protestants, et, ajoute-
t-il, parmi nous anglicans, une plus pleine réali-
1. G. EdMUNDSON, The chiirch in Rome in the first centiiry (1913), n'en
veut i"ien connaître ! Comparer l'attitude gênée de C. P. Rosers,
Rome and the early church (1925), p. 27.32.
96 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. '
sation que le développement de la papauté fut
pour l'Occident, en un certain sens, providen-
tiel^ alors même que le dessein de la Providence
a été çà et là trahi par des instruments humains ».
Cette observation de Bishop Gore ne doit pas
passer inaperçue, car elle signale un déplace-
ment des lignes des vieilles controverses. La
papauté, si elle est quelque chose de providentiel, r~
ne peut plus être éconduite brutalement comme
elle l'était jadis. Elle ne peut pas ne pas être
prise en considération. Le catholicisme ne se
conçoit pas sans elle, non le catholicisme circons-
crit à l'Occident, mais le catholicisme. Et qu'il se
rencontre des anglicans pour le dire, c'est là
un fait nouveau et d'importance.
Mais on ne voit pas que Bishop Gore se rallie
sans réserves à ce langage. Il reste absolu-
ment réfractaire au « système papal », loin d'y
voir rien de réellement providentiel, rien de dési-
rable. La papauté ne peut être pour lui qu'une
déformation de la constitution première du catho-
licisme, une usurpation de l'évêque de Rome sur
l'autonomie des évêques dans la Caiholica, une
intrusion destinée à se muer en imperium et à
rompre l'équilibre et l'unité de l'Église. Le sys-
tème papal s'est développé en Occident» pour
une large part à l'aide de faux documents, mais
aussi sous la pression du besoin humain, dans
lequel nous devons voir un dessein providentiel».
Déconcertante contradiction, la papauté fausse
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 97
le catholicisme, elle est le produit du besoin
humain qu'on avait d'elle, et ce besoin lui-même
est un dessein providentiel, servi à l'occasion
par de faux documents, comme peuvent être la
donation de Constantin ou les fausses décrétales !
Quel ((. proMential purpose » est-ce là ^ ? Au
fond, la pensée de Bishop Gore sur la papauté
et son rôle déformant ne diifère pas de la pensée
de DôUinger, à cela près que Bishop Gore y met
infiniment plus de mesure et de sérénité que
Janus, mais le radicalisme est le même.
Nous voudrions, dans les pages qui vont sui-
vre, montrer les points faibles de la doctrine de
Bishop Gore.
I
Nous ne pouvons, écrit Bishop Gore, nous
dérober à la controverse sur le terrain scrip-
turaire. Rome s'est donné l'avantage de capter
l'imagination par sa grandiose interprétation du
Tu es Petrus. En réalité, le reste du Nouveau
Testament, quand on l'examine avec soin, spé-
cialement les épîtres de saint Paul et de saint
Pierre, « constitue un formidable obstacle à l'in-
terprétation papale » du Tu es Petrus. « Rien, en
effet, énonce M. Gore, ne me semble être plus
certain que saint Paul ne reconnaissait pas d'au-
1. Dom Chapman, Bishop Gore and the cathoUc claims (1905), p. 84
relevait déjà cette contradiction.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 7
98 CATHOLIGISME ET PAPAUTE.
torilé spirituelle sur terre supérieure à celle des
apôtres (autorité dont il était si pleinemeat eoas-
eient en lui-même), et qu'il n'admettait pas de
réelle différence de dignité eu d'office entre les
apôtres ».
Que saint Paul n'admette pas de réelle diffé-
rence de dignité ou d'office entre les apôtres, il
fiant pour se le persuader oublier l'épître aux
Galates, où saint Paul nous raconte comment,
trois ans après sa conversion, il monta à Jéru-
salem « pour faire la connaissance de Céphas »,
et demeura « quinze jours auprès de lui- sans voir
aucun des autres apôtres, si ce n'est Jacques
frère du Seigneur » [Gai. i, 18-19) ^
Quatorze ans plus tard, Paul monte de nouveau
à Jérusalem : il va exposer « l'Evangile qu'il
prêche parmi les Gentils », d'abord à toute la
communauté de» saints de Jérusalem, pais « à
ceux qui- paraissent être quelque chose », pour
s'assurer àe ne pas courir ou de- n'avoir- pas couru
pour rien (ïi, 2). Paul a résisté aux. «• faux feèa?e» »
qni s'étaient insinues d'ans les communautés
établies par liti et voulaient y imposer la cireoe-
cision. Son autorité n«' réussit pas à avoir raison
de ces «' faux frères », il- est am^né à venir= sou-
mettre le cas à Jérusalem, et là finalement
« Jacques, Céphas et Jean, qui sont regarJés
comme des colonnes, dit-il, nous doaaèpeati la
1. Pour l'exégèse ae ces textes, je renverrai au Pi Lagrange*
Èpître aux Galates (1918).
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 99
main à Barnabe et à moi pour aller, nous aux
païens, eux aux circoncis » (ii, 9). Sans doute,
Pierre est rais ici sur le même rang que Jacques
et Jean, et encore n'est-il nommé qu'après
Jacques, d'où l'on pourrait inférer qu'il n'est pas
une autorité qui serait unique. Mais dans ce même
passage, ces mêmes colonnes « reconnaissent que
l'Évangile, écrit Paul, m'a été confié pour les
ineirconsis, comme à Pierre pour les circoncis,
car celui qui a fait Pierre l'apôtre dea circoncis
m'a fait l'apôtre des Gentils » (ii, 7» 8) ^.
Ainsi, à Jérusalem, il y a les saints, c'est-à-dire
toute la communauté primitive ; dans cette com-
munauté, il y a ceux qui sont regardés comme des
colonnes, Jacques, Géphas, Jean, et qui confir-
ment l'Évangile de Paul ; entre ces colonnes, il y
3 Géphas « en qui Dieu a opéré pour l'apostolat
de la circoncision », comme il a opéré en Paul
pour l'apostolat des Gentils (ii, 8); et les
colonnes prennent acte que l'Évangile a été
confié à Paul pour les Gentils « comme à Géphas
pour les incirconcis » (ii, 7). Les Gentils confiés
à Paul, les circoncis confiés à Pierre, et aussi
bien aux autres colonnes (ii, 9), voilà bien entre
les apôtres une réelle différence d'office. D'autre
part, Géphas plus en relief que Jacques et Jean,
t* Dom Chapman, « St. Paul and the révélation to St. Peter,
Matt.xvr, 17 » dans la Recne bénédictine, 1912, p. 133-147, s'applique
à montrer qae dans GaU i, 12-il, 10, saint Paul présuppose le
récit donné dans Mat. x-vi, 16-17, et que ce récit est familier aux
Galates convertis. Cette vue est au. moins à «ignalei*.
.100 CATHOLICISME ET/PAPAIJTÉ.
Géphas apôtre itinérant comme Paul et tenant à
l'égard des convertis de la circoncision une place
comparable à celle que l'on reconnaît à Paul à
l'égard des convertis de la gentilité, voilà bien une
réelle différence, sinon de dignité, au moins d'im-
portance, pour Pierre entre lés « colonnes ».
Disons que Pierre est, de l'aveu même de Paul,
une autorité exceptionnelle. Il est une autorité
que, dans une Église comme celle de Gorinthe,
Paul invoque (I Cor. ix, 5; xv, 5). 11 est connu
à Gorinthe, où cependant il n'a jamais paru, si
bien que, la communauté en discorde se récla-
mant, qui de Paul, qui d'ApoUos, qui du Christ,
il se trouve des fidèles pour se réclamer de
Géphas (i, 12)1. Qq^ faits ne sont pas négli-
geables à un historien qui cherche les indices
d'une différence entre Pierre et les autres apôtres.
On nous dira : Des fidèles se rencontraient, à
Gorinthe même, qui se réclamaient de Géphas,
soit; mais Paul avait conscience que son apos-
tolat, qui faisait de lui l'apôtre de Jésus Ghrist
encore que « le plus petit de tous les saints » {Eph.
III, 8), ne l'assujettissait pas à Géphas. Paul.se
donne aux Églises par lui fondées comme la seule
autorité qu'elles doivent recevoir : il entend que
ces Églises relèvent de lui directement, cons-
■ 1. W. BotissET, sur I Cor, I, 12 dans le iv. T. de J. Weiss, t. II
(IGOt^), p. 76 : « Scliwerer ist es zu erklaeren, wie in Kôrinth eine
Kepbas (Petrus) Partei zustande gekommen ». II propose de dire
que Pierre est venu à Gorinthe, mais cette hypothèse est à écarter.
C. WeizsAECKER, Apostol. Zeitalter (1902), p. 2f75.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 101
tamment, si bien que sur lui pèse vraiment « la
sollicitude de toutes les Églises » (II Cor. xi, 28),
de toutes -les Eglises nées de son apostolat. Je
réponds : Ce régime où l'apôtre est l'autorité sou-
veraine ne peut représenter qu'une économie
provisoire.
Dans l'épltre aux Éphésiens (ii, 20), Paul
élargit ses vues, il écrit à ses convertis d'Asie :
« Vous avez été bâtis sur le fondement des
apôtres et des prophètes, la pierre angulaire
étant Jésus Christ lui-même ». Pour ces convertis
d'Asie, qui sont des chrétiens venus de la genti-
lité (il, 11), il y a une autre autorité que celle de
Paul : il y a les apôtres. Davantage : il y a les
prophètes que l'Esprit suscite dans les com-
munautés chrétiennes. Davantage : il y a les
évangélistes, les pasteurs, les didascales (iv, 11).
Tous travaillent à « l'édification du corps du
Christ » qui est l'Église. Dans l'unité de ce corps,
le Christ, « qui est notre paix, des deux peuples
n'en a fait qu'un » (ii, 14). Les chrétiens incir-
concis ne sont plus des étrangers, ils sont « con^
citoyens des saints et membres de la famille de
Dieu » (il, 19). L'Église, corps mystique du
Christ et société des saints, a son unité dans le
Christ : elle a été propagée dans le monde par la
parole des apôtres et des prophètes, et déjà
apôtres et prophètes sont au terme de leur œuvre,
Paul est prisonnier à Rome, l'édification du corps
du Christ passe aux évangélistes, aux pasteurs.
102 CATHOLICISME ET PAPÂWTÉ,
aux didascales. Ici encore la deseription de
rÉglise, pour autant que l'Église n'est pas seu-
lement le corps mystique du Christ, décrit une
économie provisoire ^
Car le jour est proche où les prophètes seront
« évacués »,. et parmi les évangélistes, pasteurs,
didascales, mentionnés par l'épitre aux Ëphé-
siens, se forme un ministère dans lequel toute
autorité s'absorbera, celui des épiscopes, dont
l'épitre aux Éphésiens ne dit pas un mot. Bishop
Gore nous assure que les épîtres de Paul cons«
tituent un formidable obstacle à l'interprétation
papale du Tu es Petrus : on pourrait dire aussi
bien qu'elles sont un formidable obstacle à Tau-
tbenticité paulinienne des épîtres pastorales et à
l'institution del'épiscopat monarchique-.
L'âge apostolique est, aux yeux de l'historien,
tout plein d'économies provisoires : il ne s'est
1. F. Prat, La théologie de saint Paul, t. II (1912), p. 429-430 : « Les
clirétientés fondées par Paul restaient toujours sous sa tutelle.
Aucune n'eut de son vivant une organisation autonome... On peut
Se demander si cette centralisation excessive ne retarda pas l'or-
ganisation monarcliique dans les fondations pauliniennes, et si
ces dernières jouèrent le rôle que semblaient leur assigner leur
importance locale et leur origine apostolique... En étudiant l'évo^
lution de la hiérarcliîe dans les Églises fondées par saint Paul» on
doit s'attendre à rencontrer un système moins uniforme et une
période de tâtonnements plus longue. Ce n'est pas à dire que ces
Églises fussent privées de tout gouvernement propre ».
2. Dom Ghapjian, Bishop Gore and the catholic daims, p. 54 :
« Obviously tlie government of the Gliurch by monarcbical bishops
cannot be directiy proved from Holy Scripture ; it rests upon tra-
dition «.BisbopHenson en prend prétexte pour argumenter contre
le droit divin de l'épiscopat bistorique, comme fait Bisliop Gore
contre le droit divin de la papauté ! Voyez H. Henson, Cross-Bench
we«'5 of current Church questions (1902), p. 354.
CÂTaOLIGISMS ET PAPAUT£> 103
établi que par des préparations successives
dans les institutions qui réalisaient le catholi-
cisme et qui ont ensuite traversé les siècles, l'épis-
copat par exemple : des régimes transitoires,
éphémères, seront résorbés, par exemple celui
des ministères charismatiques ou itinérants. Le
partage de l'apostolat, entre l'apostolat de la
gentilité et celui des circoncis, n'a eu qu'un temps :
la première épître de saint Pierre est adressée à
des chrétiens qui sont des convertis deJla genti-
lité i. Si, un temps, Pierre a pu être considéré
comme l'apôtre de la circoncision et Paul comme
l'apôtre de la gentilité, à l'heure où s'écrit là
Prima Pétri ce partage de l'apostolat est dé-
passé : Pierre, « apôtre de Jésus • Christ »,
s'adresse aux chrétiens dispersés dans le Pont,
la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie.
Il ne se donne certes pas l'apparence d'une auto-
rité unique et souveraine : mais Bishop Gore ne
fera pas, j'espère, à l'apôtre un grief de sa mo-
destie, de sa volonté d'être un serviteur des ser-
viteurs de Dieu, de ne pas se poser en domi-
nateur des Eglises. Et quand la Prima Pétri ne
serait pas authentique, quitte a être cependant
antérieure à la Prima démentis (l'hypothèse est
de M. Harnack), nous tiendrions avec elle un
indice de l'autorité attribuée à Pierre^ et s'exer-
çant de Rome, où il est supposé séjourner, sur
1. A. JUELICHER, Einleitung (1906), p. 177.
104 CATHOLICISME ET PÀPÀTJTÈ. .
les lointaines chrétientés d'Asie, de Galatie, de
Gappadoce, où s'était exercé naguère l'apostolat
de Paul.
II
Les théologiens catholiques, depuis le concile
du Vatican qui a consacré le mot de développe-
ment et en a revêtu le principe de la formule
de Vincent de Lérins, ont étudié à maintes
reprises la notion du développement des dogmes,
ils ont même poussé la théorie sensiblement au
delà de la formule élémentaire du Commonito-
rium. Bishop Gore me demande d'exposer ma
pensée sur le développement : je n'en ai pas
d'autre que les prohati auctores de mon Église,
auxquels il me suffit de le renvoyer ^ Historien, je
me tiens modestement aux faits, à l'observation
des faits, à la vérification des faits, et je m'at-
tache ici au fait de la papauté antique.
Bishop Gore, qui a mis tant de science et de
persévérance à défendre le fait de l'épiscopat
primitif, dans son livre magistral The church
and tke ministry, ne m'en voudra pas de m'at-
trister qu'il n'ait pas appliqué les mêmes qualités
à examiner le fait de la papauté primitive. Il se
1, Voyez A. Gardeil, £e donné révélé et la théologie (1910),':P 151-186.
On devra voir aussi F. Marin-Sola, Évolution homogène du dogme
catholique (1924).
"l ' ■ ■ ■'.-"■
CÂTHOLICISMB ET PAPAUTÉ.- - 105
borne à renvoyer avec « consolation » ses lecteurs
à ce Papalism de Denny que M. Foakes
Jackson, dans son Introduction to the history
of Christianity (1921), juge en deux mots :
« Very hostile ». L'attitude de Bishop Gore est,
elle aussi, celle de l'hostilité.
« Il est clair comme le jour, écrit-il, que
l'Orient n'a pas l'idée d'une autorité centrale
divinement instituée ». Aux yeux de M. Gore,
la papauté est une institution fondée! sur une
doctrine qui s'est pleinement épanouie à Rome,
au v^ siècle, et qui n'a pas été dès lors contes-
tée en Occident. Mais cette doctrine ne fait
point partie de la tradition apostolique dont
Qrigène détaille les éléments, et dont se soiit
réclamés, soit les pères grecs en Orient, soit
Irénée ou TertuUien en Occident. Cette doctrine
est inconciliable avec' la théorie et la pratique
de Cyprien.
Voilà la thèse de Bishop Gore, très nette, très
radicale, et qui est la thèse même de DôUinger.
Que la doctrine de la primauté ait trouvé à
Rome sa pleine expression sous la plume du pape
Innocent ou du pape Léon, je le veux bien;
qu'elle n'ait pas trouvé auparavant son expres-
sion sous la plume de papes comme Damase ou
Sirice, je le conteste. Mais bien avant d'être une
doctrine épanouie, la primauté était un fait, qui
se manifestait : l'^dans la sollicitude que l'Église
romaine avait pour toutes les Églises ; 2** dans
106 CATHOLIGISME ET PAPUlMSTÉ^
l'autorité que lui donnait le dépôt de la foi apos-
tolique que l'on était sûr de trouver chez elle;
3° dans le pouvoir qu'on lui reconnaissait de
corriger à l'occasion les autres Eglises*. Cette
triple prérogative eût été une prétention insup'
portable, si elle n'avait pas été justifiée par une
économie que l'on tenait pour apostolique et
divine.
Cette doctrine, insiste. Bishop Gore, ne fait
point partie de la tradition apostolique tisUe
que l'expose Origène. Soit, mais il ne faut pas
oublier que celte tradition apostolique n'a pas
trait aux institutions. Irénée, qui a écrit une
Démonstration de la prédication apostolique,
n'y fait aucune place aux institutions» Le sym-
bole baptismal de Rome mentionne l'Eglise, la
sainte Eglise, mais il n'estime pas nécessaire de
mentionner l'épiscopat qui est pourtant apostoli-
que d'institution et sans lequel l'Église ne sub-
1. H. M. GWATKIN, Early church History (1909), 1. 1, p. 213-214, a
une belle page que je veux citer « (The church of Rome) was the
centre of christendom as a whole. Its central direction was
lully recognlzed by Irenaeus, and became more and more defi-
nite as time went on till the rise of Constantinople.., Rome was
the natural link of East and West. As a Greelc colony in the Latin
capital, it was the représentative of "Western Christianity to the
Easterns, and the interpréter of Eastern thought tho the Latin
"West. For ail thèse reasons Rome was the natural centre of dis-
cussion. Her orthodoxy was unstained. "Whâtever hérésies might
flow like Syrian Orontes to the great city, no heresy ever issued
thence. The strangers of every land who found their way to Rome
and the tombs of the great apostles were welcomed from St.
Peter's throne \vith the majestic blessing of a universal father.
The church of God which sojourneth in Rorne was the immémorial
counsellorof ail the churches; and the voice of counsel slowly
passed into that of command ».
CATHOCIGISME ET PAPAUTÉ- 107
sisterait pas, Origène, par ailleurs, n'ignorait
pas l'Église romaine, cette Église qu'il appelait
« la très vieille Eglise des Romains », et qu'il
tint à visiter. Pourquoi ce grée tenait-il à visiter
« la très vieille Église des Romains » ?
Parée que, répondrons-nous, l'Eglise romaine
était contemplée en Orient comme « le domicile
des apôtres », et comme « ayant été depuis
l'origine la métropole de la religion », ainsi que
le dira le concile d'Anlioehe de 340, Elle était, au
iii** siècle, en dépit même des résistances qu'on
lui opposait parfois, l'Église sur laquelle on
finissait toujours par se régler. C'est Rome qui a
voulu la confornûté sur la date de Pâques au
temps du pape Victor : des résistances se sont
produites très vives en Asie où l'on était quarto-
décimant : Rome, par charité, n'a pas rompu
avec les réfractaires, mais la conformité s'est
établie sans qu'on sache quand, paisiblement,
silencieusement, et le concile de Nicée a trouvé
la question de la Paque résolue, loin qu*il ait
eu à la résoudre 1. C'est Rome qui a fait valoir
la validité du baptême des hérétiques : ici
encore des résistances se sont produites en
Afrique, en Orient, et l'on connaît les éclats
de Cyprien et de Firmilien : Rome encore n'a
pas usé de rigueur, mais la conformité s'est faite
ensuite, si bien que saint Augustin n'imaginera
1. DucHESNE, La question de la Paque an concile de Nieée (1880).
108 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
pas qu'elle ait pu être procurée autrement que
par un concile universel. Rome y avait suffi par
son influence, et l'Afrique même avait en fin
de compte donné tort à Gyprien^.
Je sais bien que des critiques comme
M . Harnack ne voient dans cette influence uni-
verselle de l'Eglise romaine, encore vers 250,
qu'une primauté de services rendus : « Un fonde-
ment dogmatique ou historique, clairement connu,
manquait encore, écrit-il; du moins selon toute
vraisemblance il était encore à Rome vacillant,
incertain ». M. Harnack écrivait cela en 1892 ^ :
depuis lors, dans le mémoire qu'il a donné en
1918 sur lé Tu es Petrus et où il a voulu montrer
que le Super hanc petram aedificabo Ecclesiam
meam était une interpolation tendancieuse, il
a émis l'hypothèse que ce faux avait dû être
commis au bénéfice de l'Eglise romaine et à
Rome même à l'époque d'Hadrien^. Le fondement
de droit divin de la primauté avait donc été posé
à Rome dès les premiers deeennia du second
siècle!
Laissons-là ces conjectures, et tenons-nous
au texte d'Irénée sur la. potior principalitas de
l'Eglise romaine. Irénée veut que toutes les
Églises se rallient à l'Église de Rome comme au
plus sûr dépôt de la foi apostolique et parce qu'elle
1. Voyez mon Catholicisme de saint Augustin (1920), p. 163.
2. Cité par H. KOCH, Cyprian undder rômische Primat {1910), i^. 148.
3. Voyez mon Église naissante (éd. de 1982), p. H3>
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 109
est l'Église principalis^ c'ést-à-dire TÉglise
aînée, l'Église établie en la personne de Pierre
le jour où le Christ prononce le Tu es Petrus,
l'Église dont toutes les autres ne sont que les
puînées *. La justification de l'autorité centrale
reconnue à l'Église romaine est dans le dépôt
de la foi qu'elle conserve et dans la principalitas
qu'elle tient de Pierre. C'est Irénée qui dit cela,
et Irénée est un grec.
Victor, qui est évêque de Rome, contemporain
et ami d'Irénée, est pénétré de la sollicitude de
toutes les Églises, son action dans la controverse
pascale l'atteste assez, car son action s'étend à
toutes les Églises d'Orient, de l'Egypte à l'Asie,
qu'il entend rallier à la même date pascale, et
son action est énergique assez pour que Renan
ait pu en dire : « La papauté était déjà née, et
bien née^ ».
Ces faits, qui se relient les uns' aux autres
(nous pourrions en aligner d'autres encore) 3, in-
firment donc la thèse de Bishop Gore, et ils sou-
tiennent seuls une histoire des origines du catho-
licisme. Les évéques n'auraient eu à rendre
compte qu'à Dieu chacun de leur administration,
comme le prétendait si indûment saint Cyprien,
l'isolement des Églises aurait été la loi de
l'Église : on aurait eu un numerus episcoporum,
1. Voyez mon article « Petrus initium episcopatus », dans la
Revue des sciences religieuses, 1924, p. 440-457.
2. Renan, Marc Aurèle, p. 201.
3. M. d'HERBiSNY, Theologica de Ecclesia, t. II (1921), p. 152-172.
110 CÀTHaLICISME ET PAPAUTÉ. >
on H^auraitpas eu un corpus totiiis Ecciesiae'^.
LWité visible de l'Église a été faite par ttrie
unité constituée, qui avait pour elle une autorité
que les Eglises dispersées ne récusaient pas,
à laquelle elles recouraient plutôt : cette unité
était l'Église romaine. Les historiens comme
M. Harnack, qui se sont appliqués à résoudre le
problème des origines du catholicisme, ont le
mérite d'avoir montré que qui dit catholique dit
romain. M. Kattenbusch a fait valoir que la
règle de foi, en laquelle toute la catholicité s'est
unie, est issue de Rome et adéquate au symbole
baptismal romain^. M. Sohm a p-ensé établir que
l'épiscopat monaréhique a été emprunté à Rome
par le resie de la catholicité, e1 avec Fépiscopat
monaréhique le germe de tout le Kirchenreehf.
Le même Sobm n'a pas craint d'écrire qtfe les
grandes questions ecclésiastiques qui 9& sont
posées au ii® et au ih^ siècle « ont trouvé leur
solution pour l'Église à Rome » ; que Rome
tient une place uniqpie, qui n'est échue à aucune
aiElre communauté ; que <c Roïne est la têle de
rÉgH'se et que sans elle FÉglise n'est- pltïs
l'Église » j que « c'est setïlemeKt par leur ufoioiï
1. GxrATKiN, op- cit.^: 308: i True^ Giyprian's wliol'e tlleory of the
Chui'cli implied- tlie equality of bishops, and Ue. utterly disavows,
for liimself as others any tyrannïcaX clafin fo autliority by one
bisbop over another. But even Gyprian could not stay tbe drift of
lâie time ». Encore n.'es*-il que juste de signaler la contradiction
intimé de la doctrine de Gyprienv Voyez Dtem e'ffAPMAïï, » Pfofessor
Hugo Koch on S. Gyprian », iJeune bénédictine, 1910J pi 462'.
2. Voyez Harnack, Theologischer LitteraturzeUungi'&Q% pi 582.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 111
avee Home que les communautés partieàlières
appartiennent à l'Église »; que « ces persuasions
àe l'ancienne Église catholique du n® et du
m* siècle rendent seules compte de la prodi-
gieuse puissance de la communauté romaine en
face de toutes tes autres communautés i », Je ne
puis que regretter que l'historieisme de Bishop
Gore ait été jusqu'ici imperméable à ces vues
classiques aujotfrd'hfui chez les bistowens.
III
On inférera de l'exposé qui précède que^ dès
le II* et, ïe m® siècle, la « papauté » était dans
les faits, qu'elle était dans la conscience de
l'Église romaine ,.qu'el]ie était acceptée non moins
coûsciemmeoit. paip ua saint Irénée : nous avons
essayé de fixer les traits auxqiiels. se reconnaît
cette « papauté » primitive, et nous avons pressenti
la part qui fut la sfienae daas^ la formation du
catholicisme.. Il nous reste à examiner quelques
p.Feu.yes que Bishop Goire croit devoir appeler à
SOS, aide pouB étahlir que « la suprématie du. pape
iure divirw, et, (fijialement), son infaillibilité, est
un développement occidental, et qu'en le reje-
tant les orientaux n'ont rien rejeté qu'ils eussent
èFft aintérieOîFement ».
êk eBtte- assertiosç no^UiS^ opposonsv et c'est une
i. R. SOHM, Kirchenrecht, t. I {Wfl), p. 382*383;
112 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
réponse classique*, que le concile de Chalcédoine
a accepté cette suprématie du pape iure divino.
A Chalcédoine, en effet, dès l'ouverture du con-
cile, les përes ont accepté que les légats de saint
Léon qualifiassent l'évêque de Rome de « caput
omnium Ecclesiarum ». Le concile fini, ils ont
écrit à saint Léon, le remerciant d'avoir été pour
tous « l'interprète de la voix du bienheureux
Pierre », et d'avoir à tous « procuré la bénédiction
de sa foi ». Ils insistent : Nous étions là environ
cinq cent vingt évêques « que tu conduisais comme
la tête conduit les membres ». Le malheureux
Dioscore « avait visé dans sa folie celui à qui le
Sauveur a confié la garde de sa vigne, nous
voulons dire ta sainteté, et il avait voulu excom-
munier celui qui a pour mission d'unir le corps
de l'Église 2 ». La pensée des pères de Chalcédoine
ne contredit pas la doctrine de saint Léon sur
sa propre suprématie de droit divin, elle la con-
firme.
Mais il y a le 28® canon de Chalcédoine !
Ce canon est l'œuvre du quatrième concile
œcuménique, à la suite du second concile œcumé-
nique, énonce Bishop Gore. Le qualificatif d'œcu^
ménique ne doit pas nous en imposer ici : les
1. Les Échos d'Orient, 1924, p. 246, m'apprennent que cet argument
a été présenté déjà dans un livre de J. L. Lucchesini, Sacra
monarchia S. Leonis... fulgens in polemica hîstoria Cfoncilii Chalcedo-
nensis (Rome, 1693), dédié à Innocent XII. L'argument est repris
par M. d'Herbigny, op. cit. p. 119-152.
2. Le Siège apostolique, p. 538, 562.
- CATHOLICISME BN PAPAUTÉ. 113
canons ne sont jamais œcuméniques au sens où
les défînitions de foi le sont ^. Les canons de 381
et de 451 sont œcuméniques en tant qu'ils sont
l'œuvre des évêques orientaux en concile : ils
sont une expression du droit oriental. Gela est
si vrai, que le pape saint Léon peut déclarer^
qu'il n'a jamais eu connaissance du 3* canon
de 381.
Le 28' canon de Ghalcédoine a été voté dans
une session à laquelle les légats n'assistaient
point. Mais les légats se sont immédiatement
inquiétés de ce canon, dans lequel ils ont vu un
attentat aux « règles canoniques » et une « humi-
liation du Siège apostolique » : ils ont déclaré
en référer à « l'évêque apostolique qui est le
premier de toute l'Église, pour qu'il puisse juger
de l'injure faite à son siège et de la violation
faite des canons ^ ». Si les pères du concile avaient
été dans les sentiments que leur prête Bishop
Gore, ils auraient du maintenir leur canon, comme
ils semblent en avoir eu un moment l'inten-
tion, et donc passer outre aux sommations des
légats ! Ils ne l'ont pas fait. Ils ont, au contraire,
écrit au pape saint Léon, le priant de confirmer
1. DucHESNE, Hist. anc. 1. 1, p. 152, parlant des canons de Nicée,
y voit une <r législation sans caractère synthétique, toute de cii*-
constance, comme fut toujours la législation des conciles, repré-
sentant non point la réglementation générale des rapports ecclé-
siastiques, mais simplement la solution d'un certain nomhre de
cas sur lesquels l'attention des membres de l'assemblée se trou-
vait avoir été appelée ».
2. Le Siège apostolique, p. 559-560, 572.
3. Ibid. p. 561-562.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 8
114 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
leur canon, déclarant qu'ils attendent de lui
que, de même qu'ils se sont sur la foi accordés
^vec lui qui est la tête, il consentira aux
enfants ce qui convient, lui qui est xopuçv^,
le sommet de l'Eglise i.
Ce ne sont là que des mots, assure Bishop Gore,
et pure affaire de cérémonie! Car, poursuit-il,
« le langage dans lequel la préséance de Rome
est reconnue (par le 28^ canon) est tout à fait in-
compatible avec la conception d'un lus divinum
inhérent au siège ».
En effet, le 28° canon énonce que « les pères
ont à bon droit reconnu la primauté [xh TCps<j6eîa)
au trône de la vieille Rome, parce que cette
ville est souveraine » (Stà xb ^aoriXsosiv ty]v xoXiv
lîtsfvYîv)^. Le canon ne dit pas quels sont ces
pères. Il ajoute : « Mus par la même considé-
ration, les cent cinquante théophiles évêques
'([du concile de 381) ont attribué ^ la même pri-
mauté (xà l'aa TCpsaêeia) au très saint trône de la
nouvelle Rome, .estimant avec raison que la
ville qui est honorée (de la présence) du basileus
et du sénat et qui a les mêmes privilèges
(■jcpsffésîa) que la vieille Rome royale, est grande
aussi comme elle dans les choses ecclésiastiques,
étant la seconde après elle ». Ainsi deux Romes,
1. Ibid. p. 563-564.
2. Les pères ont reconnu, àmoSéStoxast. Dom Chapraan note :
« 'A7io5tSM[i.i does not mean / give a présent, but / return a loan or
I rehder a due». Bishop G. and the catholic daims (1905), p. 86.
3. Ici àTtéveifJiav.
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ. 115
toutes deux possédant les mêmes privilèges civils,
toutes deux allant de pair commme les deux
empereurs, à cela près qu'il y a une vieille Rome
et une nouvelle Rome, et que des deux sièges,
celui de Rome est le premier et celui de Gons-
tantinople le second. Pas un mot du privilège
apostolique du siège de Rome.
Donc, conclut Bishop Gore, le 28^ canon, de
Ghalcédoine nie le privilège apostolique du siège
de Rome. Gette conclusion n'est pas nouvelle,
et je ne dis pas qu'elle ne soit pas logique, mais
je conteste qu'elle soit dans la perspective des
rédacteurs du dit canon. J'ai deux raisons à
faire valoir à l'appui.
1*^ Nous avons dans la lettre GVII de saint Léon
la preuve que l'homme de sa confiance à Gons-
tantinople, Julien, évêque de Kos, lui a écrit
pour recommander la requête d'Anatolios en
faveur du 28" canon. Supposons que la requête
d'Anatolios soit un prodige de duplicité et
qu'elle aille à faire approuver par le pape la né-
gation sournoise du privilège apostolique du
siège de Rome, et cette supposition est une
énormité; à qui fera-t-on croire que Julien de
Kos n'ait pas soupçonné la négation ainsi impli-
quée dans le 28^ canon ? Le pape répond à Julien
do Kos (22 mai 452), que ni ses raisons, ni ses
supplications, ne l'induiront à approuver le
28* canon : « Nullo modo poteris obtinere ut me
in excidium ecclesiastici status vel suadendo
110 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
impellas vel supplicando traducas ». Qu'Ana-
tolios donc n'espère pas, ajoute le pape, que
j'accorderai ce qu'il demande, au mépris des
canons des pères (de Nicée), quelles que, soient
les intercessions qui l'appuieront auprès de moi :
« Nullis apud me patrociniis ita poterit adiu-
vari^ uthis quae postulat calcata patrum cons-
titutione consentiam^ y>.
2° Julien de Kos n'a donc pas soupçonné la
négation dénoncée par Bishop Gore dans le
28° canon; mais voici qui est plus péremptoire,
le pape saint Léon ne l'a ni dénoncée, ni soup-
çonnée. Il dit à Julien de Kos, dans la lettre G VII :
« Ta dilection a pu voir à maintes reprises avec
quelle constance, avec quelle décision j'entends
maintenir les statuts des saints canons de Nicée,
parce que j'estime que toutes les règles ecclésias-
tiques sont compromises, si en quelque chose est
violée cette sacro-sainte constitution des pères » ,
Dans le 28" canon, saint Léon voit l'ambition de
l'évêque de Gonstantinople, qui cherche à s'at-
tribuer des pouvoirs indus aux dépens de
1' « universalis Eeclesiae status saluberrima
olim et vej^a ordinationè munitus ». Le pape
Léon n'a pas un mot qui donne à penser que le
privilège apostolique de Rome soit menacé 2. —
1. Sans doute les légats du pape à Chalcédoine ont tout de suite
vu dans le 28« canon une injure faite au Siège apostolique. Mais
ils se sont trop écliauffés apparemment, puisque Julien de Kos
ne partage pas leur sentiment.
2. Chapman, op. cit. p. 87 : « It is certain that. St Léo saw in
CATHOLICISME ET PAPAUTÉ, 117
La lettre GVII à Julien de Kos n'est pas la seule
que le pape écrive sur cette affaire. Il y à la
lettre GIV à l'empereur Marcien, la lettre GV à
l'impératrice Pulchérie, la lettre GVI à l'évêque
de Gonstantinople Anatolios, toute les trois du
même jour que la lettre GVII. Dans ces lettres,
le pape s'élève contre l'ambition d' Anatolios et
contre le 28** canon qu'il repousse absolument.
Il reproche à ce 28^ canon de renverser l'ordre
établi par les pères de Nicée : ici encore pas un
mot qui suggère que le pape ait à défendre son
privilège apostolique. Le pape défend les « sta-
tuta paternorum canonum quae ante longissi-
mae aetatis annos in urbe Nicaéna spiritalibus
sunt fundata decretis » {Epist. GV, 2), les
. « sacratissimas Nicaenofum canonum constitu-
tiones », qui assurent au siège d'Alexandrie le
« secundl honoris privilegium » et au siège
d'Antioche la « proprietatem tertiae dignitatis »
(Epist. GVI, 2). Il ne parle pas du premier rang
reconnu au siège de Rome, ce premier, rang
n'étant pas contesté à Gonstantinople. — La
lettre GXIV (21 mars 453) est la lettre par
the canon nothing in any way reflecting upon the unique dignity
that lie himself claimed with so much assurance... He does not
see anything in tlie canon inconsistent with the respect due to
Rome. » B. J. KrOD, A History ofthe Church to A. D. 461, t. III (1922),
p. 337-338 : « Léo does not, it will be observed, appealto the prin-
ciples of papalism in order to get the canon cancelled... He only
appeals to Eastern vénération for the council of Nicaea ». On
pourrait supposer une feinte chez saint Léon, si Julien de Kos
n'avait pas estimé de son côté le canon parfaitement conciliable
avec les principes du « papalism ».
118 .CATHOLICISME ET IPAPAUTÉ.
laquelle le pape saint Léon écrit aux évêqùes qui
ont tenu le concile de Ghalcédoine ; il approuvé
ce qu'ils ont décidé sur la foi; mais il regrette
ce qu'ils ont proposé, dans leur 28® canon et qui
va « contre les inviolables décrets du concile de
Nicée » : « lura Ecclesiarum sieut ah illis
CCCXVIII patribus divinitus inspiratissunt or~
dinata permaneant n^Epist. GXIV,2). Il écritle
même jour à Marcien : « Privilégia Ecclesiarum
illibata permaneant » [Epist. GXV, 1).
Ainsi le pape saint Léon n'a pas relevé dans
le 28® canon, et pas davantage Julien de Kos, ce
que Bishop Gore y voit. Le pape n'a pas repoussé
la formule : « Les pères ont à bon droit reconnu
la primauté au trône de la vieille Rome, parce
que cette ville est souveraine "^ ». La raison en
est, peut-on croire, que cette primauté (ta upecrêeia)
ne visait pas le privilège apostolique : cette pri-
mauté répondait à la conception que l'on se fai-
sait dans le monde romain de Vordo urbium^ et
à l'importance qu'on y attachait. « Nous devons,
écrit Galla Placidia à Pulchérie au lendemain du
brigandage d'Éphèse, attribuer le primatus
en tout à la ville éternelle, qui a rempli le monde
entier de la domination de sa virtus, et a donné
1. Cette formule sera relevée, au contraire, dans le ifomocanon de
saint Méttiode, où on lit : « Il n'est pas vrai, comme l'affirme ce
canon, que les saints pères ont accordé la primauté à l'ancienne
Rome, parce qu'elle était la capitale de l'empire, mais c'est d'en
haut, c'est de la grâce diyine que cette primauté a tiré son ori-
gine... » Tout le texte, traduit du slavon, dans B. Lbib, jRome, Kiev
et Byzance (1924), p. 38-39.
CATHOLICISME ET PAPAUTE. 119
à notre empire l'univers à gouverner et à con-
server ». Voilà bien le langage du temps. Mais
Galla Placidia n'ignore pas pour autant le
privilège « apostolicae sedis in qua primas
apostolorum beatus Petrus, qui etiam claves
regnorum caelestiumsuscipiens sacerdotiiprin-
cipatum tenuit^ ». Le 28® canon de Ghalcédoine
n'a pensé qu'à Vordo urbium : le pape saint
Léon n'a pas vu dans ce que ce canon disait du
primatus de la vieille Rome une négation du
principatus du Siège apostolique 2. Nous ne
saurions être sur ce point plus chatouilleux que
le pape.
Saint Léon défend contre l'évêque de Gonstan-
tinople Vuniversalis Ecclesiae status qu'il croit
trouver dans le 6^ canon de Nicée, et qui, réser-
vant au siège de Rome le premier rang, at-
tribue le second à Alexandrie, le troisième à
Antioche. Anatolios réclame pour le siège de
Gonstantinople la parité avec le siège de Rome,
mais la parité en second : c'est là une prétention
qui doit remonter au temps de Théodose. La
doctrine que lui oppose saint Léon est plus nou-
velle 3, et nous ne ferons pas difficulté de recon-
naître qu'elle est une interprétation arbitraire
1. Inters. LEO. Epistul. LVII.
2. Dom Chapman, op. du p. 87 : « (The fattiers of Ghalcedon)
had no ideathat their doctrine of ttie coïncidence of ecclesiastical
witli secular jurisdiction could i)e in any way contrary to llie
prérogatives of Rome as tlie apostolic see. »
3. Elle apparaît pour la première fois sous la plume da pape
Boniface, en 422. Le siège apostoUqtie,p.[2b6^'i6Q.
120 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ.
du 6" canon de Nicée, lequel n'a pas pensé à
fixer ou à reconnaître un or do urbium. L'empe-
reur Justinien, dans sa Novelle GXXXI, confir-
mera la prétention du siège de Gonstantinople,
et Rome un jour l'acceptera sans hésitation*.
Saint Léon aurait pu l'accepter tout de suite sans
plus d'hésitation qu'Eugène IV : en confirmant
le 28® canon de Ghalcédoine, il aurait certes en-
couragé l'ambition del'évêque de Gonstantinople,
et c'était un grave danger, mais il n'aurait rien
sacrifié du privilège apostolique du siège de
Rome.
*
Il me reste à répondre brièvement à trois
arguments subsidiaires de Bishop Gore.
J'ai fait état des appels adressés par des
évêques orientaux à Rome, et je suis heureux de
constater que Bishop Gore ne conteste pas le
fait. Il observe seulement que ces appels n'im-
pliquent pas nécessairement la reconnaissance
d'une autorité de droit, divin dans PÉglise
romaine. G'est entendu. Je remarque cependant
que le concile de Sardique^, qui le premier s'est
1, Le Siège apostolique, p. 577. KiDD, t, III, p. 336. Voyez une note
excellente du regretté A. Fortescue, dans J. Masfero, Hist. des
patriarches d'Alexandrie (1923), p. 270-271,
2. Le concile -de Rome de 485 écrira que les Pères de Nicée
(Nicée = Sardîque) « confirmationem rerum atque auctoritatem
sanctae romanae Ecclesiae detulerunt, quae utraque usque ad
aetatem nostram successiones omnes Gliristi gratia praestante
custodiunt ». Collect, Avellan. 70 (éd. Guenther, p. 159). Je compte
\ CATHOLICISME BT PAPAUTE. 121
prononcé sur les appels, déclare vouloir «honorer
la mémoire du bienheureux apôtre Pierre ». Je
remarque encore que le siège de Rome est le seul
auquel on ait persévéramment fait appel, comme
si les autres sièges, si glorieux fussent-ils,
n'eussent rien qui attirât les appelants ou qui
leur assurât une sentence définitive.
J'ai fait état de l'acceptation par l'épiscopat
oriental de la formule du pape Hormisdas, de
515. La formule, en effet, est reproduite textuel-
lement dans la lettre Redditis mihi (28 mars
519) deFévêque de Gonstantinôple Jean annon-
çant au pape Hormisdas sa soumission^. Bishop
Gore accuse Jean d'être un pauvre homme,
« a poor wedk man », qui a accepté toutes les
conditions imposées par le pape Hormisdas et
par l'empereur Justin : ceci rend déjà invrai-
semblable qu'il ait par son préambule vidé la
formule de la signification que Rome lui donnait.
Mais, en fait, cette préface n'affecte pas la for-
mule et affirme l'union que Jean déclare vouloir
entre son siège et celui de Rome^. Jean se soumet
publier dans la fietote d'histoire ecclésiastique, 1925, de Louvain un
mémoire sur les recours d'Orient à Rome antérieurs au concile
de Chalcédoine.
1. Collect. Avellan. 159 (p. 607).
2. < Ecclesias, id est superioris vestrae'et novellae istius Homae,
unam esse accipio : illam sedem apostoli Pétri et istius augustae
civitatis unam esse definio. > Gela veut dire que l'évêque de Rome
et l'évêque de Gonstantinôple sont d'accord, et non pas qu'il « iden-
tifled his own see with the roman see >, ce qui n'a pas de sens!
Rapprocher la lettre Quando Deus du même Jean au même Hor-
misdas, qui reprend les mêmes termes. Et la réponse d'Hormisdas
à Jean, Constderanti mihi. Coll. Avellan. 161 et 169 (p. 612 et 624).
122 CATHOLICISME ET PAPAUTE.
et signe sans en rien retrancher la déclaration
exigée par le pape. Il affirme que la parole du
Christ à Pierre, Tu es Petrus et le reste, se vérifie
dans ses effets, parce que « in sede apostolica
inviolabilissempercatholica custoditurreligio » .
Il anathématise donc Nestorius, Eutychès, Dios-
core, Timothée Aelure, Pierre d'Alexandrie,
Acace, Pierre d'Antioche. 11 reçoit toutes les
lettres de saint Léon sur la foi. Il veut suivre
Rome en tout : « Sequentes in omnibus sedem
apostolicam, et praedicamus omnia quae ah
ipsa décréta sunt^ et propterea spero in una
communione vobiscum quam apostolica sedes
praediçat me futurum^ in qua est intégra
christianae religionis et perfecta soliditas ». Il
s'engage à ne pas recevoir dans les diptyques à
l'avenir « sequestratos a communione Ecclesiae
catholicae, id est in omnibus non consentientes
sedi apostolicae^ », Le pape ne demande pas
d'autre déclaration.
La signature obtenue de l'évêque de Gonstan-
tinople (mars 519), l'empereur Justin donne des
ordres (avril 519) pour que les évêques signent
dans toutes les provinces 2. Dès juin 519, on
voit que les libelli signés par les évêques arrivent
1. CoUect. Avellan. 159 (p. 608-609). Ibid. append. IV (p. 800-801).
2. CoUect. Avellan. 167 (p. H21). C'est le rapport des légats au pape :
«Noveris sacra... per universas provincias quantocius destinari ».
Les légats notent que le peuple a acclamé l'union : < Qualla
gaudia facta sint unitatis,... quae laudes quoque beato Petro
apostolo et vobis relatae sint... perspicitis »,
CATHOLICISME ET PAPAUTE. 123
à Gonstantinople ^ On apprend plus tard que
certains évêques répugnent à supprimer dans
les diptyques des noms qui sont chers à leurs
ouailles 2. Ces évêques appartiennent au diocèse
d'Orient, « pars orientalium^ ». Une lettre
subséquente de l'empereur Justin précise qu'il
s'agit de « nonnullae urbes et ecclesiae tant
Ponticae quanv Asianae ac praecipue orien-
tales », y compris Jérusalem*. Ces Églises ne
refusent pas d'effacer des diptyques les noms
d'Acace, de Dioscore, des deux Pierre et de
Timothée, qui sont portés dans le formulaire
romain, mais elles refusent d'effacer les noms
des évêques qui en chaque Église participèrent
au schisme d'Acace (ce qui était plutôt insinué
que réclamé par le formulaire). L'empereur
estime que le consentement du pape Hormisdas
est nécessaire, il lui demande d'user d'indul-
gence, et encore ne lui demande-t-il cette indul-
gence que pour les Églises qui résistent sur ce
point bien secondaire, et non pour les Églises qui
ont déjà signé le formulaire, « et hoc exceptis
urbibus ubi vestrae beatitudinis libellus iam
in plénum admissus est ^ ». Le pape répond à
1./ÔM.216 (p. 675-676) :« Laetamur cotidie diversorum episcoporum
libelles nobis satisfactionis offerri... Post libellos quos dederunt.
et dant episcopi et per ipsos satisfecerunt sedi apostolicae... »
2. ibid. 192(p. 650), lettre de l'empereur Justin au papeHormisdas,
9 juillet 520.
3. C'est Justinien qui l'écrit au pape Hormisdas, fiW. 196 (p. 655),
juillet 520.
. 4. Ibid. 233 (p. 701), 9 septembre 520.
5. Ibid. (p. 702).
124 CATHOLICISME ET PAPAUTÉ, ^
l'empereur Justin qu'il entre dans ses vues et qu'il
s'en remettra au jugement du nouvel évêque de
Gonstantinople Épiphane : les évêques donc
qu'Epiphane aura admis à sa communion, le
pape les tiendra pour sortis du schisme, étant
bien entendu qu'ils auront signé le formulaire,
« libelli tamen qui a nobis interpositus est
ténor e servato^ ».
On pourra conclure de là que Bishop Gore
n'est pas autorisé à dire que nombre d'évêques
orientaux furent admis à la communion de Rome
sans signer rien d'autre qu'une confession de foi
orthodoxe.
Le dernier argument de Bishop Gore est une
vieille connaissance scolaire. Si, dit- il, l'infailli-
bilité de l'évêque de Rome en matière de foi avait
été elle-même un article de foi en Orient, le pape
Honorius n'aurait pas été condamné comme
monothélite par le sixième et le septième concile
œcuménique. On me permettra de m'en tenir au
verdict de Dom Ghapman : « Aucun concile n'a
par ses actes et ses paroles plus pleinement
reconnu l'autorité et l'infaillibilité de Rome que
le sixième concilequi a condamné — et condamné
à bon droit — le pape Honorius ^ ».
1. ibid. 238 (p. 738). Lettre du 26 mars 521. L'Egypte seule se
déroba à l'union. Quant à l'Illyricum oriental, il était plus romain
que jamais : voyez ibid. 213-215 (p. 671-674).
2. Dom Ghapman, The first eight gênerai councils and papal infaU
libility (1906), p. 67.
CATHOLICISME ET PAPAUTE. 125
* ■
Serait-il possible de dégager de cet échange
de vues quelques possibles points d'entente ?
1° Il ne peut être contesté que saint Pierre
était le chef ou leader accepté des apôtres, et
qu'il était accepté comme tel parce qu'il avait été
traité comme tel par le Sauveur.
2" La papauté a pour anticipation ce leadership
dé saint Pierre. La papauté historique est pro-
phétisée par le Christ dans le Tu es Petrus,
étant bien évident que les événements de l'his-
toire ont projeté sur ce texte des clartés qui en
rendent plus manifeste la signification réelle. La
papauté est un fait providentiel jusque là qu'elle
a été, non pas permise, mais voulue de Dieu.
3" La papauté des premiers âges s'avère dans
la sollicitude que l'Eglise de Rome a de toutes
les Églises, dans l'autorité que lui donne le
dépôt de la foi qu'elle conserve plus sûrement
qu'aucune autre Église, dans le pouvoir jqu'ôn
lui reconnaît de corriger à l'occasion les autres
Églises : cette papauté-là est déjà en acte au
temps de saint Irénée.
4° Cette papauté des premiers âges était bien
plus grecque que latine, car Rome était alors
bien plus grecque que latine.
5° A partir de Dioclétien, l'Orient s'établit à
part de l'Occident, et le catholicisme occidental
126 ÇATHOWCISME ET PAPAIÎTÉ»
a tendance à se serrer plus étroitement autour de
Rome, tandis que le catholicisme oriental s'assu-
jettit plutôt à la cour impériale comme à son
centre d'attraction, La papauté n'est pas pour
autant abolie en Orient, alors même que l'Orient
s'organise en patriarcats et entend être sut iuris :
la papauté a son rôle à Éphèse, à Ghalcédoine,
et il n'est pas de communion catholique sans elle.
Gela l'Orient ne le conteste pas, à moins de se
séparer de l'unité, comme a fait l'Egypte mono-
physite au scandale de tout l'Orient.
Voilà ce qu'un historien pourrait représenter
à Bishop Gore, c'est à savoir ce que la papauté
est dans l'histoire des cinq premiers siècles de
l'Église. C'est une papauté qui ne se définit
qu'avec le temps, comme aussi bien c'est avec
le temps qu'elle s'organise juridiquement. Et
assurément Ghalcédoine n'est pas plus le terme
du développement du dogme de la papauté que
le terme de l'évolution du Kirchenrecht^ mais à
Ghalcédoine la papauté appartient ensemble à
l'Orient et à l'Occident, et c'est la grande leçon
de l'histoire de ces premiers siècles.
TABLE
Pages.
Avant-propos 5
Bishop Gore et nous 13
M. Kattenbusch sur le Tu es Petrns 53
Réponse à M. Puller. 65
Réponse à M. Glubokovsky 73
Réponse à Bishop Gore 91
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